Architecture de la Révolution




L'architecture peut-elle être "révolutionnaire" ?
Une société révolutionnaire peut-elle produire une architecture qualifiée de révolutionnaire ? Quelle est la portée du terme « révolutionnaire » lorsque celui-ci s'applique à l'architecture, avec ses implications idéologiques, fonctionnelles, esthétiques, son contenu, etc.. Peut-on appliquer valablement un tel terme à une forme détachée de son contenu idéologique ? Comment s'exprime le contenu idéologique de la nouvelle société dans l'architecture qui la représente, c'est-à-dire, comment cette architecture est-elle révolutionnaire ? Peut-on parler d'une révolution architecturale en termes de forme-espace-technique- fonction, qui ait une incidence sur la transformation de la société ? En définitive, a-t-on le droit de postuler des formes, des structures ou des espaces « révolutionnaires » en dehors d'une fonction sociale révolutionnaire qui les précède et les motive ?


Roberto SEGRE
Signification de l'architecture cubaine
dans le monde contemporain
Revue Espaces et Sociétés | n° 1, 1970

HUMANISME, ARCHITECTURE
ET TIERS MONDE.

L'architecture, ou plus exactement la pratique architecturale (1), constitue un des niveaux de la praxis sociale globale. Ce n'est pas le lieu, ici, de postuler une hiérarchisation des niveaux, mais d'indiquer l'importance qu'elle revêt au sein de notre milieu physique.

L'architecture — conçue de nos jours comme environmental design (2) — constitue le cadre et la manifestation de notre vie sociale, depuis la cellule individuelle minimum, jusqu'à l'ensemble du territoire, que la main de l'homme a transformé. Si la forme construite et l'espace habitable constituent la réalité essentielle de l'architecture, celle-ci se rattache de façon indissoluble aux exigences fonctionnelles et esthétiques de l'homme en tant qu'être social. L'abstraction implicite qui identifie Homme et Architecture, en dehors de toute particularité sociale, caractérise la théorie architecturale qui s'inspire de la philosophie idéaliste. En accord avec l'affirmation d'une essence universelle de l'homme (3), on proclame l'existence de valeurs éternelles, immuables — tout particulièrement dans le domaine esthétique et dans celui de la signification —, valeurs qui seraient demeurées semblables à elles-mêmes tout au long du procès historique. Ce sont ces valeurs qui font apparaître le contenu « humaniste » de l'architecture — terme utilisé par Geoffrey Scott en 1914 (4) — et qui tout au long du xxe siècle n'a cessé d'être proclamé par les tendances les plus diverses (5). L'architecture rationaliste, dans la période qui va de 1920 à 1930, s'avère humaniste dans sa volonté d'assurer les conditions d'existence minimum indispensables à l'homme de la société industrielle ; il en va de même du courant qualifié de « post-rationaliste » des années cinquante, dans son désir d'atténuer la sécheresse technique antérieure (6). Humaniste, l'architecture « organique » l'est aussi dans son souci du milieu et des facteurs psychologiques (F.L. Wright), comme d'ailleurs son interprétation européenne, le « néo-empirisme Scandinave ». Les expériences utopiques actuelles, fondées sur les conquêtes techniques, qui créent un nouveau cadre de vie humain (s'opposant au cadre de vie naturel) ou reposent sur la récupération du passé (des périodes où il existait un équilibre entre l'homme et le milieu ambiant), afin de libérer la société de son actuelle aliénation dans la technique, peuvent aussi être qualifiées d' « humanistes » ; il en va de même pour l'orientation prise par l'architecture dans les pays socialistes européens (7).



Le caractère polysémique du terme « humanisme », l'ambiguïté de son signifié qui lui permet de servir et de soutenir les idéologies les plus contradictoires, ont démontré la fausseté des contenus qui prétendent se prévaloir d'un « Homme » et d'une « Architecture » conçus abstraitement ou en termes de valeurs universelles. Le contenu idéologique manifestement bourgeois de telles définitions a déjà été signalé (8). On y voit transparaître la prédominance de l'individuel sur le social, et l'occultation de la réalité qui entoure et délimite l'action individuelle ; autrement dit son appartenance à un groupe social ayant des objectifs d'action concrète, définis par une pratique idéologique de classe. En termes d'architecture, cette occultation signifie le maintien de l'alibi de la bourgeoisie : l'identification de son activité et de sa pratique architecturales avec les besoins globaux de la communauté, c'est-à-dire l'intégration dans ses propres schémas et représentations des intérêts contradictoires des autres classes sociales.

Cette mystification pourrait-elle transformer les conditions de vie du prolétariat ? Les idéaux du mode de vie bourgeois ont-ils pénétré dans les classes laborieuses ? Quelques groupes minoritaires pourront connaître le mode de vie petit bourgeois — les ouvriers des grandes industries des-pays développés qui obtiendront leur maison individuelle — mais le prolétariat continuera à être soumis à des conditions de vie inhumaines qui sont l'expression de l'aspect caché de la réalité, du caractère mystificateur de ce prétendu humanisme : en d'autres termes, l'affirmation de l'Homme (bourgeois) contient implicitement la négation de l'Homme (prolétaire). Cette situation contradictoire, en affectant directement le prolétariat, permettra une prise de conscience qui stimulera la lutte révolutionnaire, et incitera à clarifier le procès social, à définir les rapports sociaux qui englobent et déterminent la vie des individus (9).

Cependant, les contradictions révolutionnaires entre bourgeoisie et prolétariat tout d'abord, et entre sociétés capitaliste et socialiste ensuite — dans le continent européen — n'aboutiront pas à faire suffisamment la lumière en termes idéologiques et architecturaux. La persistance du terme « humanisme » en est la preuve : l'opposition entre humanisme bourgeois et humanisme socialiste, coïncide avec la valorisation de l'individu au détriment du contexte social (10), ce qui correspond, dans la problématique de l'urbanisme, à l'accent mis sur l' « habitat » individuel, sur la résidence, au détriment d'une structure de services qui seraient les promoteurs d'un développement accru de nouveaux rapports sociaux. Il s'agit là d'une ambiguïté paralysante pour la praxis sociale révolutionnaire — comprenant une culture et une architecture révolutionnaires — tant au sein de la société néocapitaliste, à cause du mirage du bien-être social, que dans les pays socialistes développés, à cause de la transposition des valeurs nées de la compétition antithétique avec la société de consommation, dont on tient les axiomes pour valables : en architecture ce fait se manifeste par la transposition directe des « styles » ou des conceptions plastiques de l'architecture formaliste ou commerciale d'Europe ou des Etats-Unis.

Face à cette situation, nous pouvons affirmer que l'insertion du Tiers-monde dans le procès historique présent, a transformé l'échelle des valeurs qui s'est constituée dans le monde développé européen. Ont été mises en cause, non seulement la vocation d'universalité, forgée à partir de ce centre de rayonnement culturel, mais aussi la dévaluation des termes et des concepts maintenant périmés dans la théorie comme dans la littérature, concernant les conditions définies à un moment historique donné et maintenues par la suite, nécessaires à l'affirmation de l'homme ; et cela non pas à travers le vieil « humanisme » abstrait et polysémique, dépourvu de toute signification correspondant à un contexte réel, mais à travers la praxis sociale révolutionnaire (11).

Cette attitude s'est forgée dans la lente prise de conscience des contradictions aiguës du monde sous-développé, qui donnent naissance à un cadre infrahumain, et à la négation oppressive de l'homme qui caractérise la vie sociale. Par conséquent, il s'agit d'une conscience de la nécessité d'agir de façon révolutionnaire sur la réalité dominante, sans faire de concessions à des hypothèses de médiation, qui viennent freiner l'élan de l'action transformatrice, obscurcissant la contradiction structurelle précise qui existe entre les classes sociales, et faisant l'hypothèse d'une relation inversée, née dans l'univers des superstructures, entre action sociale et action culturelle.

Le principe de libération et d'indépendance correspond au système répressif imposé aux pays sous-développés par les pays développés : c'est l'antithèse entre misère et opulence, qu'il est impossible de réduire au domaine des biens ou des richesses matérielles (12). Elle pénètre dans le domaine des valeurs humaines : la misère fait surgir la ré-affirmation de l'homme à travers la praxis sociale révolutionnaire, la richesse de certaines minorités au pouvoir dans la société technologique capitaliste, richesse en biens de consommation, engendre l'aliénation et l'agressivité des hommes isolés, ou s'opposant au sein du corps social (13). La prise de conscience des contradictions globales — entre sous-développement et développement — et des contradictions particulières — au sein même du sous-développement, mais en même temps reflet de la contradiction globale — détermine le degré de clarté des objectifs poursuivis, qui coïncident avec un nouveau système de valeurs, s'exprimant, d'un point de vue linguistique, à travers la revalorisation sémantique de la terminologie existante. Par conséquent, la lutte pour sortir de la misère n'est pas motivée par le désir de s'approprier les modèles valables de la société d'abondance (14), mais par le désir d'une société radicalement différente, qui permette le développement intégral des potentialités créatrices de ses membres, restaurant l'équilibre social de la communauté, rompu depuis des siècles par le sous-développement qu'a engendré la domination coloniale.

La libération est étroitement liée au concept de révolution, dont la signification dans le Tiers-monde résiste à toute tentative pour le dévaluer ou pour le rendre polysémique, afin d'évoquer ce qu'il indique de spécifiquement transformateur dans l'action sociale, et qui s'est maintenu immuable depuis l' « Ilustracion » jusqu'à nos jours. L'action révolutionnaire, conçue comme méthode de transformation des structures sociales, fut instaurée par la bourgeoisie mais immédiatement récusée lorsqu'à son tour le prolétariat voulut la mettre en pratique. L'action bourgeoise et l'action prolétarienne se différencient par les trajectoires propres aux grandes révolutions : entreprises en Angleterre et en France par la bourgeoisie, elles se sont poursuivies en Russie et dans le Tiers-monde par l'action du prolétariat et de la paysannerie — cf. les Républiques Populaires de Chine, de Corée, du Viet-Nam, de Cuba et d'Algérie (15). A ce procès ont correspondu une théorie et une stratégie au cours du développement politico-social et de la mise en oeuvre ultérieure des énoncés originels. Cependant, la totalité de la praxis sociale n'a pas pris forme de façon homogène aux différents niveaux (culturel, artistique, architectural), chacun de ces niveaux se trouvant conditionné par les contradictions internes et externes — d'un côté la persistance de traits culturels petits-bourgeois (16) qui ont une incidence sur la culture artistique, de l'autre, dans les pays de culture orientale, la persistance des traditions ancestrales (17) — ont abouti à la perte, dans certains pays du monde socialiste, de la cohérence intégrale contenue dans le terme de révolution. Par ailleurs ce terme a connu une dévaluation complète au sein de la société bourgeoise. A cause de son usage inconsidéré dans le domaine politique et culturel (18), son ambiguïté et sa déperdition de sens l'ont relégué à ne caractériser que certaines expressions culturelles inoffensives.

Le fait qu'à une société révolutionnaire — c'est-à-dire homogène dans sa configuration sociale — ne corresponde pas une architecture révolutionnaire, ou qu'une société connaissant des contradictions de classe aiguës produise une architecture qualifiée de révolutionnaire, rend indispensable une clarification de la portée du terme « révolutionnaire » lorsque celui-ci s'applique à l'architecture, avec ses implications idéologiques, fonctionnelles, esthétiques, son contenu, etc.. Peut-on appliquer valablement un tel terme à une forme détachée de son contenu idéologique ? Comment s'exprime le contenu idéologique de la nouvelle société dans l'architecture qui la représente, c'est-à-dire, comment cette architecture est-elle révolutionnaire ? Peut-on parler d'une révolution architecturale en termes de forme-espace-technique- fonction, qui ait une incidence sur la transformation de la société ? En définitive, a-t-on le droit de postuler des formes, des structures ou des espaces « révolutionnaires » en dehors d'une fonction sociale révolutionnaire qui les précède et les motive ? Pouvons-nous affirmer que la véritable architecture révolutionnaire ne s'est pas encore matérialisée dans la mesure où n'ont pas encore été mis en pratique les présupposés socio-culturels qui la fondent ? Ce sont là les questions auxquelles nous nous proposons de répondre en suivant l'évolution qui a eu lieu depuis l' « Ilustracion » jusqu'à nos jours, procès évolutif d'où nous tirons aujourd'hui, dans le Tiers-monde, les énoncés théorico-conceptuels qui, confrontés avec l'expérience pratique quotidienne, permettront de matérialiser les principes essentiels de la nouvelle architecture.


L'HERITAGE DE LA REVOLUTION
BOURGEOISE

On parle pour la première fois d'une architecture révolutionnaire à partir du mouvement néo-classique qui coïncide avec la Révolution Française (19), et dont Boulée et Ledoux constituent des figures exemplaires. Leurs oeuvres expriment l'idéologie bourgeoise — Liberté, Egalité, Fraternité — en termes de valorisation homogène des fonctions sociales (20) contenues dans un système géométrique, qui symbolise la régularité de l'ordre social. Ce système géométrique résout la variation typologique des thèmes dans l'abstraction formelle du répertoire architectural de l'antiquité. En d'autres termes, face à la primauté des valeurs éternelles et immuables, esthétiques, qui étaient représentées par l'architecture classique, l'individu et la communauté se transforment sur la base de la structuration spatiale et formelle (21), ce qui conduit à la détérioration de la hiérarchie symbolique des fonctions. Les bâtiments publics, religieux, habitations rurales ou usines, se trouvent intégrés dans un langage architectural identique, à partir de l'utilisation des formes géométriques élémentaires (22).

L'apologie du néo-classicisme révolutionnaire qu'effectue la critique contemporaine provient de la recherche d'associations formelles, et non d'une lecture socio-idéologique de sa transcendance théorique et de son échec pratique. Tandis que le répertoire formel n'échappait pas à la valorisation esthétique traditionnelle (mimétisme, harmonie, ordre et proportions à l'échelle de l'homme) ni aux procédés techniques traditionnels (éléments qui pour la plupart manquaient en eux-mêmes d'un contenu idéologique progressiste, ce dernier ayant été remplacé par l'interprétation de la fonction), les hypothèses forgées sur la structure fonctionnelle de la société supposée homogène et dépourvue de classes sociales antagonistes, ne correspondaient pas au mandat social imposé par la bourgeoisie. En effet, par sa position économique et politique, celle-ci se fondait sur l'exploitation du prolétariat, qui est cantonné dans une position marginale par rapport à la culture. Celle-ci s'exprime dans l'univers des signes architecturaux, représentatifs non plus d'une homogénéité sociale et par là fonctionnelle, mais de l'autonomie individualiste et différenciatrice (faisant ressortir l'existence et la pression du prolétariat) propre au libéralisme bourgeois ; ici apparaît une contradiction implicite au système dualiste urbain caractéristique du xixe siècle (23).

L'harmonie sociale que suppose Ledoux comme base de la cité idéale de Chaux, correspond à une utopie fondée sur un ordre rationnel autonome et fermé, surgie de postulats théoriques qui n'ont pas été vérifiés dialectiquement dans la praxis sociale. La forme réelle (la forme classique devait s'intégrer dans la non-forme), constituait une nouvelle fonctionnalité imposée par la révolution industrielle, ayant une structure ouverte, indicative de la dynamique socio-productive de la communauté homogène, où chaque forme — architecture-marchandise — se transformerait en architecture-service. Mais c'est justement la valorisation maximum de la marchandise qui conditionne l'autonomie monumentale de l'architecture éclectique, en vigueur tout au long du xixe siècle, esthétiquement sacralisée par la respectabilité antiplébéienne et transformée en sauvegarde de la « sécurité » de la société, assumant idéologiquement une partie du legs absolutiste qu'avait combattu la bourgeoisie dans sa lutte pour le pouvoir (24).

Ce développement annule la valeur transformatrice des formes simples, de l'évacuation des classes, par la pure géométrie abstraite de Boullée et Ledoux, dont on a fait des propositions esthétiques « révolutionnaires » dont la transcendance — frustrée par le maintien de l'éclectisme — se limitera selon certains critiques à la signification prémonitoire de la base théorico-plastique de l'architecture rationaliste où le purisme coïncide avec la poussée de la bourgeoisie réformiste.

Cette situation est reflétée au début du xxe siècle dans la réaction des avant-gardes figuratives contre l'historicisme en architecture, qui établit, dans la violence des antithèses, le caractère révolutionnaire — proclamé ou non — implicite dans les expressions formelles de ces mouvements. Sont ainsi définies deux possibilités concrètes : une dynamique architecturale qui coïncide avec une transformation radicale de la société, et une dynamique autonome, qui est supposée impulser une telle transformation, toutes deux rendues homogènes par un vocabulaire fondé sur une conception esthétique et une réalité technico-constructive unitaire.


LES APPORTS DE LA
REVOLUTION D'OCTOBRE


Ce fut le rôle de la révolution d'Octobre de fixer les traits essentiels de la lente identification entre la nouvelle société et l'avant-garde architecturale, assumant une valeur exemplaire au sein de la société européenne, et indiquant une voie pour faire coïncider les facteurs sociaux, culturels, idéologiques et politiques (25).

Cette voie s'avéra plus complexe et contradictoire qu'on ne l'avait prévu ; la praxis sociale et les différents niveaux de la réalité se montrèrent peu réductibles à des schémas théoriques ou aux conseils tirés des manuels. Le désir de supprimer radicalement les entraves internes de la société bourgeoise (division en classes antagonistes, propriété privée et spéculation sur les terres, développement économique motivé par la commercialisation des produits et non par l'intérêt global de la société), afin d'instaurer une nouvelle société communiste, avec une organisation socio-productive claire, ayant une finalité concrète — l'essence idéologique de Marx, le passage du règne de la nécessité à celui de la liberté — tout cela ne s'est pas produit de façon linéaire et homogène dans le développement aux différents niveaux, et même dans certains cas on a assisté à une polarisation antithétique de certains aspects par rapport à d'autres. Les contradictions internes ont empêché la coïncidence maximum entre le mandat social et le groupe de décision en architecture — conçue comme un discours technique — et le lent rapprochement entre la pratique sociale et la pratique architecturale, intégrées dans la nouvelle fonctionnalité sociale. Il en va de même pour la valeur de référence qui représentait pour la communauté, l'établissement d'un code dont le contenu sémantique des signes linguistiques devait recouvrir l'ensemble du milieu social — ville-campagne — où se déroule la vie collective. Les propositions théoriques devinrent indépendantes du procès spécifique accompli dans les faits socio-économiques, et dont l'orientation ne correspondait pas avec les propositions architecturales qui impliquaient comme hypothèse l'avènement rapide de la société sans classes et de la disparition des contrastes entre ville et campagne.

Cependant, la concrétisation limitée des « utopies » des premières années, des propositions et des polémiques révolutionnaires, qui succombèrent dans la crise architecturale qui durera tout au long de la période de Staline, ainsi que les tâtonnements et les difficultés visibles dans le monde socialiste pour dépasser cette étape (26) ne doivent pas nous induire en erreur pour ce qui est de la validité du chemin suivi, pas plus que ne doivent nous séduire les chants de sirène de la critique bourgeoise qui nie le socialisme comme: seule voie pour aboutir à l'identité entre société et culture, entre architecture et idéologie, entre avant-garde sociale et avant-garde artistique, et qui postule l'indépendance de l'architecture ou de l'art par rapport à la structure socio-économique ou lui attribue une combativité suffisante pour transformer les contradictions sociales existant dans le monde capitaliste. C'est au contraire la leçon que l'on peut tirer de cette crise momentanée, ajoutée à la crise permanente que connaît la société d'abondance, qui nous permet une fois décantée, de tirer les conclusions nécessaires pour déterminer les perspectives que doit se donner l'architecture dans les pays libérés du Tiers-monde.

Leçon qui, à un demi-siècle de distance, conserve encore aujourd'hui son actualité théorique, et dont grâce à ce recul nous pouvons correctement évaluer les formulations erronées et le déphasage entre théorie architecturale et praxis sociale. Si l'on fait une synthèse générale des concepts qui pourraient demeurer valables pour le Tiers-monde, nous trouvons en premier, lieu la volonté de supprimer la différence entre ville et campagne — que Marx et Engels avaient déjà théoriquement énoncée comme étant la seule solution pour éliminer les barrières culturelles entre les divers groupes sociaux — et qui se matérialise dans les projets et idées préconisant l'union entre agriculture et industrie dans un ensemble organique. Ces principes ont été formulés par le groupe d'architectes qu'on a nommé « désurbanistes » (27). En développant la ville linéaire ou en concentrant les noyaux d'habitat sur le territoire, l'architecture et l'urbanisme demeurent partie intégrante de la planification globale du territoire qui. reçoit une nouvelle configuration correspondant aux exigences sociales. Ces deux disciplines assument un caractère global, synthétique, dû à l'ampleur de l'action du dessinateur sur l'environnement (28).

L'architecture et l'urbanisme, lorsqu'ils ne se concrétisent pas dans des prototypes formels — symboles thématiques ou fonctionnels — sont élaborés à partir d'une dynamique sociale produite par l'intégration de la vie individuelle et collective, des services de consommation et de culture. Le centre de la ville cesse de constituer le lieu dramatique de la vocation commerciale (29) de la cité capitaliste, pour se transformer en centre culturel et en centre d'échanges socio-politiques ; à son tour, l'habitation disparaît en tant qu'unité introvertie, se suffisant à elle-même, contenant à elle seule la vie familiale, expression typique de la tradition petite-bourgeoise. Le noyau minimum, base de }a vie d'interrelation, a pour complément les services externes, représentants du collectivisme, qui prédominent sur l'individualisme dans la vie du nouvel homme socialiste, comme le montrent les maisons-commune projetées par Ginzbourg.

A partir d'une structure sociale renouvelée, et en utilisant les moyens techniques les plus avancés, les formes spécifiques ne se transformeraient pas en une symbolisation immédiatement tangible, se référant à chaque terme architectural : la première place attribuée à la technique (30) et à l'organisation de la vie fonctionnelle communautaire ouvrirait la voie à la première configuration d'une architecture, qui pour la première fois devrait atteindre une dimension territoriale, perdant de la sorte l'autonomie plastique inhérente à tout édifice « monumental ». La dualité technico-fonctionnelle permettait à travers le procès de l'habitat, réalisé en son sein, de charger sémantiquement les signes architecturaux, tout comme l'évolution de la société — s'exprimant dans le nouveau contenu de la vie quotidienne — ne permettait pas à la tendance implicite dans le contenu idéologique, d'être représentée par des symboles ou des formes concrètes (31).

Cet ensemble aurait pour mission d'extérioriser le système social comme totalité : principe soutenu par les architectes du groupe OSA — qui aspiraient à créer les nouveaux condensateurs de la vie sociale — et qui était en vigueur dans le rationalisme européen des années 30, attribuant une. valeur symbolique à la représentation de la fonction (32), c'est-à-dire au cadre strict de sa propre matérialisation.

L'extrapolation et l'unification de ces concepts, et du réseau complexe d'idées débattues au cours des difficiles années de la construction du socialisme en U.R.S.S., leur confèrent une cohérence combative qui laisserait supposer une réalisation immédiate. Cependant, les niveaux socio-économiques n'étaient pas encore suffisamment avancés pour correspondre à la nouvelle structure exigée par la socialisation des services et de l'habitat, de même que l'opposition entre ville et campagne ne s'acheminait pas vers une solution, que ce soit en termes culturels ou productifs : d'un côté on assistait au maintien d'anciennes traditions médiévales et de la propriété privée à la campagne ; de l'autre, on introduisait les techniques modernes et la socialisation de la production industrielle à la ville (33).

On doit ajouter à cela l'idéalisme implicite de l'action culturelle des premières années et l'opportunisme démagogique des forces conservatrices, qui firent obstacle à la libre confrontation des idées en mettant à profit la conjoncture politique, ce qui met en évidence l'union nécessaire entre action politique et action architecturale (34) — ou, selon l'expression de Gramsci, la culture comme politique —. Cette union n'a pas été conduite jusqu'à ses dernières conséquences par l'avant-garde artistique et a été utilisée par les groupes réactionnaires ; ce qui coïncidait avec l'affaiblissement du désir de renouveau dans la nouvelle société socialiste (35).

Il ne fait pas de doute qu'un des points faibles de l'idéalisme des premières années prend racine dans la recherche de l'expression symbolique pour chaque édifice ; s'éloignant ainsi de l'étroite relation forme-fonction ou technique-fonction, fondée sur la composante thématique ou sur la morphologie mécanique de l'industrie que l'on souhaitait posséder comme base productive de la société en construction. En concentrant l'attention sur les facteurs esthétiques et non pas sur les contenus c'est-à-dire sur la nouvelle structure fonctionnelle de la société, en insistant sur l'expression formelle de l'idéologie et non sur la représentation structurelle-spatiale des postulats sociaux qui correspondaient en pratique à la formulation idéologique, les architectes ont opéré une distorsion entre les composants de la pratique architecturale et le rapport dialectique entre les conditions matérielles et les réalisations culturelles, qui engendrent la praxis sociale, c'est-à-dire la conservation de l'équilibre entre la pratique esthétique et la pratique constructive à partir d'un code socialement assimilable.

Antagonisme que rendaient plus aigu les contradictions culturelles — et par conséquent le désajustement linguistique — entre les auteurs de projets et le reste de la société. Cet antagonisme maintenait l'opposition traditionnelle que l'on se proposait de détruire entre culture d'élite et culture de masse. De sorte que la constitution d'un code compréhensible par l'ensemble de la communauté s'effectua au moyen des colonnes et des arcs classiques, formes resacralisées à travers une inversion de leur contenu idéologique originaire à l'aide d'un contenu sémantique qui demeurait vivant au sein de la communauté. D'ailleurs, le caractère permanent, typique de la forme classique, pouvait facilement s'identifier à la solidité socio-économique des bases réelles du système socialiste en vigueur ; il s'agissait de plus d'une appropriation par le prolétariat d'un système de valeurs esthétiques réservé pendant des siècles à l'aristocratie.

Ainsi, au lieu d'accepter le chemin qu'indiquait l'utopie — qui s'avéra par la suite n'être pas si lointaine, avec l'accélération du procès d'industrialisation — les architectes préférèrent chercher refuge dans l'esthétique du passé, niant les contenus essentiels de la vie communiste ; mais heureusement celle-ci ne se fossilisait pas dans la rigidité interne des contenants formels, et préparait par son propre mouvement les conditions de la destruction de ce répertoire formel.

D'un autre côté, l'absence d'une théorie critique de l'architecture, adaptée au nouveau système de valeurs inhérent à l'architecture contemporaine, destructrice des anciennes catégories -esthétiques, fut un facteur de retard, annulant la dynamique dialectique nécessaire entre les deux composantes de la pratique architecturale : la pratique constructive et la pratique théorique. Nous pouvons citer quelques-unes des conceptions les plus significatives qui ont fourni un alibi à l'architecture des « colonnes » :
1) Le réalisme régnant à la fin du xixe siècle fut récupéré parce que lié à la culture prolétarienne. Cette récupération se fondait sur l'héritage historique et sur la thèse de Lénine concernant la culture prolétarienne (36). La distorsion que le réalisme a subie dans sa définition essentielle était dirigée contre les extrémistes qui prétendaient nier en bloc toute la culture bourgeoise, considérée comme l'expression d'une société décadente.
2) La persistance d'une conception classique de l'architecture, en maintenant les principes d' « éternité » et de « monumentalité », se référait à des formes artistiquement symboliques, et reléguait à l'arrière-plan les fondements pratiques et fonctionnels ; ces idées ont été soutenues en U.R.S.S., et ont été aussi, chose curieuse, exprimées par Gramsci (37).
3) La négation du contenu idéologique exprimé par le. caractère symbolique de l'architecture (par les arcs et les colonnes) fut une thèse élaborée à partir du discours de Jruschov au Congrès des Constructeurs (1954) (38). Selon ce dernier, l'architecture se réduit à sa matérialisation constructive rendue « artistique » a posteriori par l'intégration des arts plastiques (39).
4) Le langage architectural contemporain fut condamné — le rationalisme — sous l'accusation de froideur et de technicité deshumanisante. Cette interprétation vient d'une évaluation erronée des objectifs et des conceptions des pionniers des années 20 à 30. Cette erreur repose sur l'utilisation mercantile ultérieure du répertoire formel qui se manifeste dans la majorité des constructions dans les grandes métropoles européennes. Le refus des configurations géométriques de l'architecture contemporaine, attitude commune à Lukacs, Sedlmayr et Ortega y Gasset (40), provient d'une conception traditionaliste du contenu anthropomorphe de la forme et de l'espace. Dans cette conception subsiste de façon inconsciente, le critère de l'universalité des valeurs classiques. Par ailleurs l'idée du mimétisme avec la réalité environnante, naturelle, demeure et se trouve niée par le caractère icono-symbolique de l'architecture, dont l'essence ne transcende pas sa forme et son propre espace construits. On oublie ainsi que de telles formes « abstraites » proviennent pour la plupart d'une réponse scientifique aux fonctions essentielles de l'homme, telles qu'elles se sont développées dans sa vie communautaire. Nous avons vu comment la révolution sociale a objectivé tous les prémisses indispensables pour atteindre une architecture révolutionnaire, non seulement en termes formels, esthétiques ou constructifs, mais en répondant à une nouvelle organisation de l'espace social, à partir de la transformation radicale du modèle de la société bourgeoise telle qu'elle s'était jusqu'alors maintenue. Il ne fait pas de doute que la société socialiste imposa toute une série d'options différentes quant à l'organisation des fonctions sur le territoire, mais sans en tirer toutes les conséquences, c'est-à-dire sans détruire les schémas typiques de la société bourgeoise, à partir d'une conception renouvelée de la fonctionnalité sociale et du rapport entre l'individu — ou sa cellule minimale, la famille — et la communauté. En conséquence de quoi, on assiste d'abord à une fossilisation du style architectural, puis à une modernisation postérieure à travers un répertoire de formes, significativement neutres même lorsqu'elles sont techniquement avancées. Néanmoins, l'héritage révolutionnaire, contenu dans les propositions des premières années, demeure aujourd'hui plus que jamais actuel, faisant partie des orientations fondamentales qui doivent permettre de réaliser le cadre de vie du nouvel homme communiste. '


LES CONTRADICTIONS
DU MONDE DEVELOPPÉ


Avant de traiter du développement spécifique de l'architecture révolutionnaire dans le Tiers-monde, — analysée à travers l'expérience cubaine — nous devons rappeler certaines des formulations surgies dans la société capitaliste, qui mettent en évidence les contradictions qui existent entre les niveaux de la pratique architecturale — théorie, technique, esthétique — et qui coïncident avec les contradictions de la société globale (41).

Depuis cinquante ans on insiste sur l'existence d'une architecture révolutionnaire en soi, ou qui engendrerait dans la société des transformations capables de permettre le dépassement progressif des antagonismes de classe, des antagonismes économiques, etc.. Le Corbusier prétend éviter la révolution grâce à l'architecture (42) : la construction massive d'habitations atténuerait la situation explosive qui existe dans les grandes villes ; cette initiative abstraite laisse de côté les intérêts économiques qui sont en jeu au sein de l'économie capitaliste, pour lesquels l'architecture n'a qu'une valeur marchande, correspondant à la demande, à l'idéologie et à la culture de la classe dominante. L'habitat égalitaire de la « Ville Radieuse » ne correspond pas à la réalité urbaine actuelle, où coexistent les résidences luxueuses de la ville et les banlieues grises, l'entassement compact au centre et l'habitation individuelle dans les environs, conçue en termes de loisirs (43).

A Le Corbusier succède Gropius, qui pense trouver le salut dans la méthodologie des projets et l'interdisciplinarité ; Mies van der Rohe, pour qui le salut réside dans la forme esthético-constructive, etc.. Cette action, réalisée sur le plan technique ou culturel, est stérilisée par la contamination qu'implique le compromis politique ou idéologique ; elle suppose une révolution idéale opérée par les techniciens, ou l'abandon, par leurs dirigeants, de la direction des entreprises, aux techniciens et aux urbanistes (44).

Une fois invalidé le fondement technico-socio-fonctionnel du rationalisme, que soutenait son impulsion révolutionnaire, et qui a été médiatisé par son compromis avec le réformisme bourgeois, l'espoir de salut se porte vers l'esthétique, vers les nouvelles valeurs de « style » imposées à travers l'héritage du Cubisme, du Néo-plasticisme, du Constructivisme. Cette évolution a permis à des critiques et à des architectes de répandre l'idée d'une crise du mouvement et de la faible vigueur des principes énoncés au cours des années de lutte, et cela grâce à la déformation mercantile du langage et à la rapide implantation du courant orgahiciste, dont les valeurs esthétiques ont pu se maintenir sans être contaminées pendant une longue période. Le fait que ceux qui dirigent la spéculation urbaine se soient approprié ces signes architecturaux, dépourvus de tout pouvoir pour désigner et qualifier (45), ne suffit pas à détruire l'hypothèse fondamentale du mouvement, encore aujourd'hui valable, selon laquelle on peut obtenir une configuration homogène du milieu urbain, au sein duquel une fonctionnalité complexe, dynamique et entretenant des rapports dans l'espace, aurait créé la différenciation des « signes » souhaitée.

De même la soi-disant crise du contenu idéologique de l'architecture qu'impliquerait l'échec du rationalisme, apparaît aussi comme une mystification de la réalité : l'architecture ne pouvait pas promouvoir la bataille idéologique, mais au contraire, était contrainte de se limiter à la formulation de modèles spatiaux utopiques, en partant des conditions réelles dérivant du mouvement de transformation de la société à partir d'objectifs concrets postulés par l'idéologie, et atteints à travers la praxis révolutionnaire. Ces objectifs ne s'identifiaient pas avec un langage formel spécifique, mais avec un système de formes et d'espaces correspondant à la nouvelle fonctionnalité de la société.

Si l'on met en cause la réalité en vigueur dans la société capitaliste à partir du terrain spécifique de l'architecture, on voit apparaître les différents niveaux — théorique, esthétique, effectif, etc.. — auxquels se déroule la pratique architecturale. Ceci implique :
1) L'acceptation du système, qui intègre l'architecture en termes d'alternative technico-esthétique opposée à la pauvreté et à la médiocrité du tissu urbain (46).
2) Le refus de l'héritage rationaliste se manifeste dans les textes lyriques des « Maîtres » comme dans la commercialisation bourgeoise de l'architecture, à travers la revalorisation du concept de « monument », situé dans la « ville artefact » (47). Dans cette tendance, se situe la recherche d'une esthétique de l'expression — niant tout contenu idéologique — dont les racines remontent dans le passé historique — Louis Khan — ou dans les hypothèses sur le futur que représente l'appropriation des techniques industrielles avancées (48).
3) L'adoption de la culture populaire urbaine des pays industrialisés, comme dynamique formatrice d'une nouvelle esthétique de la ville tertiaire — position considérée comme révolutionnaire par Robert Venturi ou Reyner Banham, face au conservatisme schématique de l'héritage puriste (49) — où l'architecture conçue comme mass média, ainsi que les signes commerciaux, les signes de la circulation, etc.. établissent les termes d'une configuration renouvelée.
4) L'image récurrente de la ville future, depuis la « Città Nuova » jusqu'à Archigram, où disparaissent toutes les contradictions réelles internes — socio-économico-culturelles — grâce à la valeur purificatrice de la technologie industrielle. Villes que seuls les consommateurs habitent, villes du loisir où la force productive de l'homme est prise dans un procès qui transforme en objet de consommation tout l'environnement architectural et urbanistique (50).

Ainsi apparaissent différents aspects d'une voie qui s'avère être une impasse, n'intégrant pas dans ses propositions les faits réels, actuels ou possibles, qui déterminent la transformation de la société, et donnent ainsi une signification — ou un contenu — aux propositions architecturales. Tandis que les architectes assument abstraitement les termes d'Homme, d'Humanisme et d'Architecture — abstraction vide de toute particularité sociale concrète — les polarités extrêmes de la configuration architecturale ou territoriale apparaissent également non susceptibles de transcendance, face à l'unicité de l'action ou à la théorisation impraticable : la récupération d'un « ordre » formel qui systématiserait l'expression linguistique, héritée de la tradition classique, et qui donnerait une signification esthétique à la complexité de la vie sociale contemporaine (Louis Khan) ou l'évacuation de toute référence formelle dans la recherche d'une organisation de l'espace physico-géographique — point de départ pour réaliser l'unité entre la culture et l'environnement (51). On aboutit donc à la suspension du sens, qui coïncide avec la perte de l'intentionnalité par la société bourgeoise — mort de l'idéologie — avec une société de masse conçue comme une « société nue », régie par un système de valeurs reposant sur la recherche du bien-être, la sécurité et la consommation (52). Cette soumission est pour une grande part obtenue à travers la médiatisation des mass média, dont le contenu s'identifie avec les termes qui caractérisent l'architecture actuelle (53). Elle est intégrée au « système », dont les paramètres sont suffisamment flexibles pour intégrer des orientations opposées : la définition d'une architecture prenant son origine dans les contenus démocratiques de la nouvelle culture « mid-cult » et intégrant les figures de la consommation ou de l'affrontement total, ce qui en termes d'architecture signifie la révolution par la forme, qui libère de la répression à laquelle est quotidiennement soumis l'individu (54). L'architecte veut ainsi avoir le rôle d'une soupape de sûreté — c'est l'éternelle récurrence de l'alternative proposée par Le Corbusier — sans percevoir le caractère aliénant de son attitude — aliénation d' « ordre supérieur » — plus subtilement absorbée par une société où chaque proposition, avant même de se concrétiser, perd toute sa force subversive, tout son contenu destructeur (55). Situation qui montre la fausseté des accusations portées contre le rationalisme, au nom de la pauvreté expressive de ses formulations plastiques, encore qu'indubitablement imprégnées de l'esthétisme idéaliste — alors qu'elles ne constituent qu'une schématisation qui indique la fonctionnalité humaine et sociale et porte une charge révolutionnaire, à savoir l'homogénéité formelle, produit de l'homogénéité sociale, inexistante dans l'architecture actuelle. Celle-ci en effet est surtout élaborée en termes spaciaux et formels mais s'opposant à la systématisation et à l'interrelation de la fonctionnalité sociale ; architecture qui est soumise aux priorités hiérarchiques et symboliques qui n'extériorisent pas les aspirations de la collectivité si ce n'est la façon tendancieuse (idéologique et économique), qui convient au groupe de décision, c'est-à-dire de la minorité au pouvoir, architecture hésitant sur les hypothèses, réelles ou utopiques, masquées par l'idéologie bourgeoise, et imposées aux architectes de manière autoritaire ; ces hypothèses sont représentatives d'une conception biaisée de la praxis sociale, praxis sur laquelle pourrait se fonder une pratique architecturale.

La situation de crise généralisée qui apparaît à travers l'analyse de la crise des fondements théoriques et de la réalisation pratique de l'architecture actuelle, pourrait impliquer un certain nihilisme pour ce qui est de la possibilité de surmonter les contradictions existantes : une nouvelle société qui n'ose pas encore s'exprimer en termes architecturaux ; une société en crise d'où cependant surgissent des idées qui parviennent rarement à prendre forme. Face à cette dualité contradictoire se situe le Tiers-monde avec une problématique et une dynamique propres, capables de redonner vie et de réélaborer un héritage que l'on pourrait tenir pour périmé et n'ayant plus cours, et qui cependant garde sa possibilité de donner une impulsion, à partir d'une reformulation où l'on inverse ses contenus idéologiques, sociaux et culturels. Dès lors, lorsque nous parlons du Tiers-monde, nous ne procédons pas à une classification qui tende à le situer en marge, à l'isoler en tant que phénomène, détaché des courants culturels nés dans les pays développés, et qui l'ont pénétré au cours de la domination coloniale.

En d'autres termes, nous voulons montrer que les éléments représentatifs de la culture universelle, inhérents au niveau d'évolution maximum du système social, peuvent être assimilés aux différents stades de développement — par exemple, l'appropriation de la technologie avancée (56) — par l'intermédiaire de la communication à double sens qui se maintient entre le monde développé et le monde sous-développé, par un rapport dialectique constant entre idéologie et technologie. La conception traditionnelle qui assignait un caractère indiscutable au modèle inhérent au monde développé, et que le monde sous- développé devait suivre strictement, est devenue caduque lorsque les transformations révolutionnaires produisirent des modèles sociaux et des fondements idéologiques différents qui se montrent parfaitement actuels même au sein du monde développé, et mettent en crise la structure des valeurs établies (57).

Il s'ensuit que tout isolationnisme — de caractère nationaliste ou folklorique — possède un caractère réactionnaire, qui tend à éviter toute contamination idéologique, et qui nie l'universalité de l'antithèse : affirmation de l'homme ou négation de l'homme, opprimés contre oppresseurs, monde infra-humain qui veut s'humaniser, en arrachant les privilèges à tous ceux qui prétendent conserver à leur profit exclusif le niveau suprahumain (58).

LE CHEMIN PARCOURU PAR CUBA

Les transformations qui se sont produites à Cuba au cours de ces dix dernières années ont montré la force mobilisatrice d'une action révolutionnaire et sa capacité destructrice des valeurs traditionnelles remplacées maintenant par d'autres entièrement nouvelles. Ce n'est pas le lieu ici de faire une description des conditions concrètes qui ont précédé le triomphe de la révolution, mais il est intéressant d'en noter certains aspects qui entretiennent une relation étroite avec la culture et l'architecture.

La culture coloniale hispanoaméricaine s'est maintenue en vigueur à Cuba au cours du xrxe siècle, imprégnant de façon homogène les diverses classes sociales et inscrivant en son sein les éléments qui la caractérisaient, toutefois elle maintenait en marge les traditions africaines de la communauté esclave qui se trouvait exclue (59). Son assimilation ultérieure dans le cadre du procès de libération du colonialisme espagnol, de même que le surgissement d'une culture locale, forgée dans les guerres d'indépendance, se cristalliseront dans la formation d'une culture cubaine propre, qui s'exprimera avec plus de force dans une pensée politique, qui contribuera à la faire survivre de façon combative face au colonialisme espagnol du xrxe siècle et à l'impérialisme nord-américain du xxe siècle (60).

A partir des débuts du xxe siècle, Cuba dépendra économiquement des Etats-Unis, et c'est alors que seront introduits les modèles provenant du monde développé, qui remplaceront les modèles antérieurs. La pénétration matérielle et culturelle du monde développé dans le monde sous-développé possède un caractère dominant, qui soumet et annule toute participation populaire réelle, niant le maintien des traditions propres et indépendantes. Ces dernières subsistent en fonction d'une base dualiste et antagoniste. Dans un cas, produit du refus de la réalité environnante, la tradition se transforme en défense et autonomie d'un groupe social face aux autres, — la culture afro-cubaine — ou dans l'extériorisation combative face à la pseudo-culture qui tente de s'imposer. Dans un autre cas, elle est médiatisée par les groupes de décision, dont les motivations sont essentiellement économiques, c'est le cas du pseudo-folklore tropical qui s'est développé à La Havane pour les touristes nord-américains et qui confère à la ville une valeur exotique, qui la différencie du caractère stéréotypé de Las Vegas ou de Miami.

La déformation de la culture correspond à une structure sociale précise, qui valorise le groupe détenteur du pouvoir face au reste de la population — rurale et urbaine — prolétarisée et soumise à une intense exploitation. C'est-à-dire que l'on donne naissance à une société répressive où la minorité dominante réprime la masse laborieuse avec tous les moyens dont elle dispose. En termes culturels l'action des mass média prend une importance fondamentale dans la constitution des modèles — homme-type, économie-type, objet-type — qui canalisent à leur tour l'absorption des « objets » provenant du monde industriel développé, établissent la structure en vigueur, et qui sont déversés massivement sur la société sous-développée. Tout ceci donne naissance au mythe de la société d'abondance, en déformant toute culture esthétique et formelle. D'un côté, on trouve l'anesthésie et la passivité sociale — fondées idéologiquement de façon claire (61) — de l'autre, la création d'un goût dirigé par autrui, fondé sur une interprétation biaisée des éléments traditionnels, afin de transformer au maximum l'objet en marchandise : il en est ainsi de la fausse culture « pop » où prédomine le concept de kitch comme expression de l'infraculture (62).

La pression des mass média, niant toute action culturelle positive, atteint aussi la bourgeoisie, porte-parole des principes qui émanent de cette source de diffusion, autrement dit, des intérêts nord-américains. Le cinéma, la télévision, la radio, la presse, et à son échelle, l'architecture, reproduisent les modèles de l'american way of life auxquels on aspire à tous les niveaux de la vie sociale. La Havane reflète clairement sa fonction de centre tertiaire, qui n'est pas un centre de production ni de consommation de marchandises mais un centre consacré au loisir conçu à l'échelle des Etats-Unis. Tandis qu'à l'intérieur du pays l'environnement formel continue à être dominé par la tradition agricole, qui correspond au manque de ressources et au manque de services, La Havane centralise les structures commerciales et celles du temps libre, dans des hôtels monumentaux et luxueux, dans le style sucré de Las Vegas-Miami ; il en est encore ainsi pour les grands supermarchés, centres de consommation, pour les hautes tours d'habitation au centre de la ville, qui sont la matérialisation de l'image-rêve de l'habitation bourgeoise en hauteur (63) ; pour les grandes résidences des faubourgs luxueux, autre alternative de l'habitation image-évasion. Se consacrant à ces thèmes, les architectes ne conçoivent pas la société comme un ensemble fonctionnel homogène — ce serait l'inspiration utopique qui inciterait à la transformation — répondant ainsi à une demande mystificatrice du contenu idéologique de l'architecture contemporaine, qui opère des distorsions dans le vocabulaire formel qui la fonde. Aliénation qui leur permet de manipuler les formes architecturales, indépendamment du contenu, progressiste ou réactionnaire, de base. A la détérioration du milieu produite par les « objets » culturels — depuis l'équipement jusqu'aux grossières affiches réalistes qui occupent les rues — on peut mesurer la détérioration architecturale, conceptuelle et formelle, c'est-à-dire donnant une image urbaine qui ne coïncide pas avec les exigences de la communauté — et la détérioration de l'urbanisme, produite par l'autonomie absolue de l'initiative privée.

La révolution surgit d'une impulsion essentiellement humaine, fondée sur l'action de l'homme, jusqu'alors soumis et tenu à l'écart, qui se propose de détruire la réalité régnante, forgeant de ses propres mains la nouvelle réalité (64). Cette action est le fait de l'avant-garde révolutionnaire, qui assumant les intérêts de la classe exploitée, — prolétariat et paysannerie —, ne lutte pas en vue d'une récupération « humaniste », abstraite, théorique (65), mais en vue de la destruction de la société bourgeoise, répressive, inhumaine et aliénante, maintenant remplacée par le pouvoir populaire, sur lequel repose la nouvelle société socialiste, qui intègre en son sein l'individu libéré (66).

Le réveil de la société, anesthésiée et atomisée par les instruments de soumission idéologique, donne naissance à la rencontre des membres de la communauté et à la polarisation autour des idées motrices qu'engendre la finalité sociale et la nouvelle idéologie transformatrice (67). Celles-ci ont pour objet de mettre fin à l'assujettissement imposé par le sous-développement — retard économique et technologique — et recherchent la participation consciente de l'individu au procès collectif à travers la stimulation morale née de l'intégration dialectique entre individu et masse sociale.

Cela constitue un processus dont la finalité est la formation d'un homme nouveau, membre de la société communiste, processus au cours duquel on abandonne progressivement les contradictions héritées de la société antérieure. La configuration de la réalité prochaine encore hypothétique se matérialise dans les méthodes mises en oeuvre pour rendre réelle la composante utopique, conçue comme formulation d'un modèle futur et non en termes abstraits et évasifs (68).

La nouvelle société repose sur la conception égalitaire des fonctions : sur la valeur du travail de chaque individu et sur le compromis moral qu'il assume pour jouer un rôle moteur et dynamique dans l'effort nécessaire pour passer du règne de la nécessité à celui de la liberté, aiguillonné par la situation de sous-développement. Cette action revêt une nouvelle signification, en faisant du travail un plaisir et non plus seulement un devoir, en canalisant dans le travail les potentialités créatrices des individus, à travers sa hiérarchie technico-scientifique, c'est-à-dire en supplantant la simple activité physique et routinière (69). Bien que cette situation de sur-travail exige une tension sur- humaine, qui doit être maintenue aussi longtemps que la communauté ne dispose pas des moyens techniques et matériels qui lui permettront de remplacer le travail humain par des machines et une technologie avancée, le caractère volontaire de la participation sociale n'oblige pas à une compensation, à une désaliénation dans des activités de loisir et de temps libre, comme cela se produit dans les pays développés (70). La valeur de la praxis dans la constitution de la conscience, de même qut l'interchangeabilité des fonctions communautaires — l'intercommunication constante entre la théorie et la pratique ou entre les activités urbaines et rurales — permettent la disparition progressive des catégories sociales — intellectuels et travailleurs manuels —. De plus, dans la mesure où la société transforme les biens disponibles en services communautaires, les différences de niveau économique sont éliminées, et ce ne sont plus les motivations matérielles mais les motivations morales qui régissent l'action. Ces motivations sont constituées à travers la formation de la conscience sociale, base sur laquelle se constitue la richesse nécessaire pour forger la société communiste (71).

Le sous-développement est défini par les contrastes aigus existant à tous les niveaux de la pratique sociale : la structure économique dépendante qui ne joue pas de rôle moteur dans le développement interne de la communauté ; la richesse accumulée dans les villes et la pauvreté qui sévit dans les campagnes ; la constitution d'une élite intellectuelle spécialisée et l'analphabétisme de la majorité de la population ; la culture conçue comme le privilège d'une minorité et la sous-culture généralisée et maintenue par les mass média. Si toute l'énergie de la révolution se tourne vers la restructuration de la base économique nécessaire pour obtenir un développement interne équilibré, capable de rationaliser les procès de production à travers la mise en oeuvre des dernières découvertes de la science et de la technique, il est nécessaire de créer parallèlement à la base économique une infrastructure culturelle qui fasse disparaître les dénivellations au sein de la société et qui développe la capacité technique nécessaire pour faire face à la spécialisation des tâches nouvelles chaque jour plus complexes. C'est pour cela qu'au cours de ces dix dernières années on a porté une attention toute particulière au développement de l'éducation, arrachant ainsi la masse de la population, encore analphabète, aux ténèbres de l'ignorance. La lutte pour une culture révolutionnaire, actualisée à travers le développement des capacités rationnelles de l'individu, constitue l'accès aux plus hautes réalisations accumulées par l'héritage social —nié dans la société bourgeoise (72) — c'est la lutte pour que l'individu se libère des mythes, des falsifications, des fétiches, qui maintiennent une pseudo-culture imposée de l'intérieur ou de l'extérieur. C'est une culture intégrée, unifi-catrice des différents niveaux de formation des divers groupes sociaux, qui annule de façon accélérée les contrastes entre le groupe de décision et l'imaginaire collectif.

La configuration d'une authentique culture populaire ne s'identifie pas avec la vulgarisation, ni avec l'acceptation de dogmes ou de limitations dans l'expression (73), mais au contraire repose sur la capacité créatrice des techniciens qui doivent fixer le sens des signes et des symboles socialement reconnus et intégrés au sein du code existant et qui participent de la « haute » tradition intellectuelle universelle. C'est une action qui se développe dans deux directions : vers l'éducation massive à tous les niveaux scolaires — commencée en 1961 avec la gigantesque mobilisation nationale pour la campagne d'alphabétisation, l'accent étant mis tout particulièrement sur le milieu rural, mais qui s'est poursuivie jusqu'au niveau universitaire ; dans la diffusion constante des expressions les plus avancées de la culture contemporaine. Pour cela des moyens de communication massifs furent mis en oeuvre, transformés en instruments d'éducation. Une fois disparue la structure économique et idéologique qui filtrait à travers les messages transmis dans la société bourgeoise, l'ensemble de ces moyens sont utilisés pour le développement de la culture sociale ; ce sont des instruments de formation, de libération, qui permettent d'amplifier les nouveaux rapports communautaires avec lesquels s'identifie chaque membre de la communauté (74).

Un des principes fondamentaux de l'action culturelle consiste dans l'intervention massive dans tous les domaines et dans l'homogénéité du niveau des images émises dans les divers secteurs. Ainsi se trouve éliminée l'alternative entre la « haute » culture et le kitch ; entre des images dépourvues de tout sens plastique que l'on peut voir quotidiennement et le domaine circonscrit des arts plastiques relégué dans des musées ou des galeries ; entre des bandes dessinées destinées aux masses et la littérature réservée à la minorité intellectuelle ; dix années de promotion réussie de l'environnement tendent à arracher, tout particulièrement chez les jeunes générations, les tares et les déformations conservées dans la société bourgeoise. La communication esthétique — forme et contenu — se manifeste aux divers niveaux de l'assimilation culturelle quotidienne. La présentation d'un livre ou d'un journal, d'un film, ou le graphisme urbain, constituent des références visuelles qui maintiennent un niveau cohérent des images, produit d'une culture plastique intégrale. Ces images ne sont pas circonscrites à des zones spécifiques de concentration culturelle ; des éléments visuels identiques sont distribués de façon homogène dans tout le pays, à la ville comme à la campagne. Le cinéma, le graphisme, les expositions et la muséographie constituent les moyens d'expression qui reflètent l'évolution vertigineuse du goût et de la culture figurative cubaine.

Les diverses tendances plastiques sont influencées par les courants universels qui s'intègrent dans la particularité du médium et se chargent de la signification conceptuelle qui transforme les images en signes assimilés d'un point de vue sémantique dans l'apparence formelle et idéologique. La vie révolutionnaire, la problématique politique, la participation aux événements fondamentaux qui affectent l'humanité (75) atteignent leur vigueur sociale maximale à travers les canaux de communication qui transforment les idées-concepts en images-symboles dont la forme plastique résume de façon synthétique au moyen de signes articulateurs indicatifs, l'idée totale exprimée. Une fois créé le code linguistique et ses fondements idéologiques, le dialogue possède un niveau d'abstraction, qui montre son maniement social, et rend inutile le réalisme pragmatique. La communauté d'intérêts — une intentionnalité sociale à laquelle tous participent — a créé la base de l'imaginaire collectif que définit l'orientation des techniques du discours (76). Les avant-gardes qui ont donné naissance au dessin de l'environnement ont réussi à transformer le système précédent de valeurs négatives en élaborant un cadre esthétique accessible et compréhensible socialement.

Cela invalide la thèse qui justifie le chaos et la laideur des villes capitalistes comme étant une nouvelle expression esthétique correspondant aux mass média ou au goût « mid-cult » ; ou encore, la position opposée — soutenue dans certains pays socialistes — qui consiste à recourir à un langage élémentaire, réaliste, comme moyen de communication avec la masse de la population ; en effet, celle-ci conserve de manière statique une figuration plastique qui représente une culture esthétique aujourd'hui révolue.

Par ailleurs, les difficultés matérielles qui caractérisent les premières années de tout procès révolutionnaire, se reflètent dans la production des objets de consommation, où le soin apporté aux aspects formels se trouvant réduit, dans la mesure où la demande l'emporte sur l'offre, un certain primitivisme est conservé dans le dessin des rares objets de consommation produits, primitivisme qui a été dépassé dernièrement à travers l'impulsion donnée au Dessin Industriel et à la production en série de meubles, d'objets manufacturés, etc., de même que par le soin apporté au dessin des éléments qui font partie de la sphère collective (77).

La tendance générale du dessin repose sur une stricte et ascétique économie de formes et de matériaux, afin de réduire au minimum les coûts, et dans une fonctionnalité qui nie toute référence symbolique ou stylistique, s'opposant comme une alternative éducative, fonctionnelle et morale (78) au prestige que conserve encore l'objet manufacturé « artistique » ou « de style ». L'équipement individuel ou social fait partie d'un modèle d'environnement homogène, dont la signification prend ses racines dans sa valeur d'usage à travers son appropriation collective par la communauté. Avec lui a été détruit le fétichisme de l'objet et l'identification de l'individu — unité isolée ou autonome au sein du contexte social — avec la particularité des objets possédés ou la différenciation en catégories qu'ils établissent dans l'échelle du prestige social, facteurs qui jouaient un rôle fondamental à Cuba avant la révolution, promus par l'économie de consommation, où le mythe de l'automobile et son obsolescence imposée fournissaient le rythme de la mise au rebut de l'équipement qui environne l'homme. Si cette conception peut être valable dans le monde développé — ce dont on peut douter — elle ne l'est absolument pas dans un pays sous-développé, où l'unité sociale qui tend à absorber les différences entre les catégories artistiques high, middle, et low-brow (79) et le manque de moyens, ainsi que l'effort fait pour consolider la structure économique fondamentale, limitent la production et la consommation des objets d'usage dans une perspective de stricte fonctionnalité.

Si la transformation de la culture sociale, du contenu des mass média et de la signification du design, correspondent à un procès accéléré, qui atteint une rapide concrétisation visuelle dans un milieu ambiant grâce à la répétition fugace des images visuelles, avec la planification ce n'est plus la même chose, ni avec l'urbanisme et l'architecture, qui dépendent d'une base économique qui impose un rythme de changement plus lent et plus médité. Par ailleurs, adopter une politique culturelle lors de changements d'orientation successifs, qui tiennent compte des expériences faites et des erreurs commises, l'incidence des éléments préexistants étant relativement réduite, semble plus facile que de modifier une perspective de développement de l'organisation du territoire, dont les méthodes appliquées à la construction ou à l'établissement d'une typologie, se réfère à une autre thématique architecturale.

Si l'on se réfère plus particulièrement à la planification, on peut affirmer qu'avant la révolution il n'existait pas de conception globale du territoire. Celui-ci était fragmenté et divisé par la propriété privée, traversé par des voies et des chemins de fer librement tracés par l'initiative privée, qui ne participaient pas d'un plan d'ensemble. Les grands latifundia de bétail et de canne constituaient les seules surfaces organisées de façon scientifiquement fonctionnelle, les zones productives fournissant les centrales sucrières, et formaient des unités closes dans leur propre cycle productif ; unités ayant surgi indépendamment des conditions physiques ou des particularités régionales et qui par conséquent détruisaient la physionomie géographique originaire, imposant la culture extensive de la canne à sucre. Villes et villages se développaient sans contrôle aucun, occupant le territoire rural, par une croissance continuelle et désorganisée de la périphérie. La Havane constituait un phénomène complètement autonome, en raison de la disproportion de son développement par rapport aux conditions réelles du pays, en raison aussi du niveau de vie et des services en contradiction avec l'aspect primitif de la vie rurale, enfin parce que sa fonction tertiaire était à l'échelle du monde extérieur, et qu'elle jouait le rôle de centre de jeu et de loisir pour les touristes nord-américains.

La disponibilité presque complète du territoire urbain et rural donnée par les lois révolutionnaires, constitue la base essentielle pour aboutir à une planification intégrale. Des initiatives partielles se concrétisent immédiatement et soulagent les tensions existant à la campagne comme à la ville : suppression des quartiers insalubres, construction d'habitations et de petits ensembles pour les paysans, création de nouveaux « standards » typologiques qui remplacent ceux qui étaient en vigueur dans les demeures bourgeoises, produit de la spéculation. Il est évident que les moyens dont on dispose ne permettent pas de changer la physionomie des villes telle qu'elle a été héritée du régime précédent, ni de créer le nouveau profil que permettrait, selon Kevin Lynch, la référence urbaine communautaire. Cependant, la persistance de la forme ne coïncide pas avec la persistance des fonctions, le changement de contenu de celles-ci donne une valeur nouvelle aux formes préexistantes. Un des premiers objectifs consiste à supprimer à La Havane la double structure antérieure — ville bourgeoise et ville prolétaire — à travers l'intégration de nouveaux ensembles dans les zones résidentielles et en logeant dans les habitations abandonnées par la bourgeoisie des étudiants boursiers, éliminant ainsi le caractère « exclusif » que conservaient encore les quartiers « luxueux » de la ville. D'un autre côté, le centre commercial perd de sa vigueur, complété qu'il est par deux nouveaux pôles d'attraction : le centre de la vie politique et de la communauté (80). De même l'intensité de l'usage des services vient à changer : l'exclusivité qu'avait la bourgeoisie des structures du Temps Libre disparaît, les services étant maintenant utilisés par toute la population urbaine.

Aux initiatives partielles qui ont été menées à bien à La Havane, il faut ajouter celles qui ont été prises à la campagne. Depuis le début, le paysan, à cause de sa signification dans le procès révolutionnaire, sera l'objet de toute l'attention de la révolution : distribution d'habitations isolées, qui laissent intacts les schémas traditionnels qui correspondent aux aspirations matérielles des paysans, reposant sur des hypothèses individualistes, valables dans un système capitaliste mais caduques dans un système socialiste. Cette réponse immédiate était en partie le produit de l'accélération du procès révolutionnaire et des promesses qui avaient été faites avant le triomphe de la rébellion (81).

L'absence d'une perspective dans le développement agricole jouait son rôle dans la mesure où tous les efforts portaient sur la constitution d'une base industrielle qui devrait permettre de sortir le plus rapidement possible de la situation de sous-développement. Mais le développement économique interne, ainsi que les relations extérieures — l'intégration de Cuba dans le système économique des pays socialistes — montrèrent que les schémas théoriques ne pouvaient s'appliquer directement sans une étroite vérification de ce qu'était la réalité concrète. Le dépassement du sous-développement ne constituait pas un problème portant sur la contradiction entre agriculture et industrie, mais sur un processus dialectique entre les deux, où l'agriculture, source de richesse fondamentale dans l'économie cubaine, en s'industrialisant, se transformerait en une activité hautement technique, détruisant l'opposition traditionnelle entre industrie et agriculture, de même que, par ailleurs, la réorganisation du territoire devrait éliminer la contradiction traditionnelle entre ville et campagne.

L'atomisation du territoire en petites cellules agricoles, telle qu'elle avait été réalisée au début, fut remplacée par une conception globale de l'île, restructurant les fonctions territoriales sur la base de la spécialisation de la production et de la technicité croissante des opérations. On assiste alors à une restructuration totale du cadre agricole, à laquelle participent des architectes pourvus de responsabilités fondamentales, qui dépassaient les limitations qui donnent traditionnellement à la profession une primauté urbaine (82). La planification ne correspond pas uniquement à l'organisation des fonctions, mais aussi en partie aux motivations et aux prémisses imposées par la recherche d'une nature humanisée et rendue esthétique, expression de la nouvelle échelle de la dynamique sociale qui s'exerce sur le territoire, à laquelle correspond une nouvelle dimension dans la perception du paysage (83). L'agriculture et l'élevage intensifs imposent l'établissement d'industries de transformation situées à la campagne, qui constituent des pôles d'attraction, autour desquels naissent les centres de services et les centres d'habitat collectif, l'alternative de l'habitation individuelle librement éparpillée ayant été éliminée. Mais on ne peut pas considérer ces pôles comme se suffisant à eux-mêmes, il faut les intégrer dans un « système » d'urbanisation de la campagne, où les villes traditionnelles continuent encore à conserver leur importance comme lieux où la concentration des services est maxima. La communication capillaire entre tous les centres se résoud au moyen d'un système de routes ultrarapides, — dont les projets existent, certains étant déjà en voie de réalisation — leur tracé correspond aux nécessités économiques et aux besoins de mobilité sociale qui détruit l'autonomie fonctionnelle des communautés isolées, en les intégrant dans une dynamique sociale unificatrice. Lors d'un mouvement de transformations radicales comme il s'en produit actuellement à Cuba, la population assume un ensemble de responsabilités qui l'obligent à de nombreux déplacements à travers le territoire. Par ailleurs les différences entre travailleur urbain et rural tendent à disparaître ; d'abord toute la population participe aux travaux agricoles, et tout particulièrement les nouvelles générations, ensuite, l'installation dans les nouveaux centres ruraux d'ensembles scolaires intègrent en leur sein les activités d'enseignement et de production, sans que l'extension de la décentralisation affecte le niveau technique de l'enseignement, qui est rendu homogène au niveau national grâce aux mass média — cinéma, radio, télévision, etc..

Une autre caractéristique de la restructuration du territoire, c'est l'organisation du Temps Libre, qui alterne avec les structures de production : les rapports actifs et contemplatifs entretenus avec la Nature deviennent ainsi simultanés (84). A La Havane est en train de se matérialiser un ambitieux plan d'intégration entre la ville et la campagne environnante, à partir des prémisses que nous venons d'énumérer. Les parcelles individuelles ou les terrains improductifs ont été remplacés par une surface productive homogène, et par les nouvelles zones de distraction (bois, lacs artificiels, jardin zoologique et botanique, etc..) qui donnent à la ville une nouvelle dimension territoriale : un sens communautaire avec la participation sociale au travail agricole et un équipement fonctionnel diversifié pour le loisir de la population. Le kitsch des grands hôtels (centres traditionnels de distraction) a été remplacé par la nature humanisée et conditionnée par les nouvelles exigences esthétiques et fonctionnelles de la communauté.

En résumé, la planification territoriale constitue actuellement la grande action qui catalyse la révolution, intégrant dans une synthèse homogène tous les niveaux de la praxis sociale : les niveaux esthétique, économique, culturel, etc.. La transformation du mode de vie se réalise en rapport avec la nouvelle structure des forces productives dont l'objectif, en plus du fait d'obtenir le maximum de rendement et de rationalisation économique du territoire, consiste à réussir l'intégration et l'unification sociale, éliminant toute indépendance de l'individu hors de la communauté, ainsi que toute différenciation hiérarchique du travail. En partant de ces concepts, l'alternative entre travail -urbain et travail rural, entre travail manuel et intellectuel, établit une interpénétration des fonctions, et l'identité nationale de la communauté, véritable base d'un urbanisme et d'une architecture « révolutionnaires », qui ne se sont pas encore matérialisées, mais qui peuvent naître à partir des principaux postulats issus de l'unité socio-économico-culturelle. En ce sens la vision esthético-productive intégrale du territoire coïncide avec l'utilisation accrue des techniques dans l'activité agricole, — qui délivrent l'homme de son assujettissement physique à la terre — et la décentralisation des centres universitaires (85) par laquelle on voudrait aboutir à la fusion entre la haute culture et les activités productrices. Culture, technique et société homogène constituent les éléments fondamentaux pour réussir à dépasser le sous-développement et l'héritage traditionnel sous forme de vieux schémas et de formes du passé, c'est-à-dire l'essence génératrice du procès qui dessine l'environnement physique.

De sorte que les principes dont il vient d'être question demeurent encore théoriques — ce sont des formulations utopiques qui correspondent à la réalité prochaine — toute l'action transformatrice de l'environnement est orientée dans ce sens, le maximum d'effort se trouvant actuellement concentré sur les structures productives. Entre la théorie et la pratique il n'y a pas d'inconnue qui invalide les formulations utopiques postulées dans les pays capitalistes : à savoir la façon de résoudre les contradictions sociales, qui permette à la société dans son ensemble de se diriger en fonction d'une hypothèse établie, sans interférences, pour restaurer et transformer un environnement dont la détérioration physique se poursuit depuis deux siècles.

Nous pouvons affirmer que les points extrêmes du dessin-projet — du dessin-projet industriel et de la planification — ne sont pas séparés dans les fondements méthodologiques et les perspectives établies. L'organisation générale et la planification ne possèdent que de rares antécédents qui puissent agir comme freins à l'égard des innovations ; tous deux reposent sur des conditions matérielles ou culturelles nouvelles, qui exigent des réponses révolutionnaires, d'un point de vue formel et conceptuel.

Dans l'architecture, au contraire, nous nous trouvons à mi-chemin ; des facteurs intermédiaires agissent en son sein — hypothèses culturelles, moyens disponibles, traditions dans la construction — qui limitent le processus de transformation, le passage d'une conception traditionnelle à des propositions révolutionnaires, qui correspondent aux nouvelles structures de base. En premier lieu la persistance des traditions aussi bien dans le domaine professionnel comme dans la situation sociale joue un rôle important. Parler d'architecture à Cuba, avant la révolution, cela signifiait se référer à un nombre réduit d'oeuvres — bureaux, habitations de luxe, appartements — concentrées dans la ville de La Havane. Dans le reste du pays, les oeuvres correspondaient à une action de construction non transcendante : de même, le thème du contenu social en était absent. En conséquence de quoi, l'architecture contemporaine se matérialisait du seul point de vue du style, car il manquait une base conceptuelle qui puisse valider un langage formel et spatial. C'est tellement vrai que dès que l'on définit le caractère socialiste de la révolution, presque tous les architectes liés aux mouvements d'ayant-garde quittent le pays, contredisant les postulats idéologiques qui leur auraient en fin de compte permis de produire concrètement une architecture d'avant-garde en accord avec un contenu social. En résumé, l'architecture de La Havane constituait le type même du produit-marchandise, qui trouvait son fondement dans le mandat social de la bourgeoisie, pour qui les valeurs esthétiques donnaient une signification sociale ou une sacralisation de l'objet, qui devait le différencier des constructions amorphes qui l'entouraient. La valeur symbolique de La Havane, le prestige de la ville-capitale, conservé au cours des premières années, justifieront les prémisses originales de la construction de deux ensembles importants où furent essayées certaines formules esthético-conceptuelles. Dans un cas — l'unité proche de La Havane de l'Est, conçu pour 10.000 habitants — il s'est agi d'opposer au chaos urbanistique de la ville bourgeoise, l'ordre et la structure équilibrée de l'hypothétique ville socialiste, en appliquant les principes essentiels de l'urbanisme contemporain. Dans l'autre — les Ecoles Nationales d'Art — la recherche, caractérisée par des contraintes matérielles considérables — l'emploi de la brique dû au manque d'acier et de ciment — fut orientée vers la rupture avec les composantes rationnelles qui prédominaient à Cuba et la récupération d'une structure urbaine où puissent s'exprimer quelques composantes de la culture cubaine laissée en marge par la pénétration culturelle nord-américaine : par exemple, la tradition noire, l'intégration du facteur climatique et écologique ayant aussi une valeur essentielle ; ou le rapport entre architecture et nature. Oeuvres où a prédominé une intention d'ordre linguistique, y compris la symbolisation formelle, transcendant la simple fonctionnalité en vue d'aboutir à une signification qui pourrait s'identifier avec les contenus révolutionnaires. Ces expériences ne furent pas poursuivies, la révolution cubaine prenant soin de ne pas répéter les erreurs commises dans la recherche d'une symbolisation formelle des contenus idéologiques, et qui sont visibles dans le Tiers-monde ou dans certains pays socialistes européens. En postulant la primauté de la fonction sans forme sur la forme-symbole, on essaie d'exprimer l'existence d'une réalité concrète par rapport à laquelle doivent se situer les formes architecturales. En faisant prévaloir le concept d'une trame-structure de base — une architecture conçue comme mass média — face à l'individualisation monumentale de la fonction, apparaissent divers aspects définis par la pratique architecturale, niveau spécifique de la praxis sociale : la disponibilité limitée des moyens humains techniquement aptes, ce qui oblige à une simplification des procédés de construction et de dessin ; la rareté des moyens matériels et l'adaptabilité des schémas typologiques définis à des systèmes de construction divers ; la réponse à des problèmes différents, nouveaux dans le domaine rural ; l'homogénéité des fonctions qui se caractérisent par la notion d'architecture-service, s'opposant à celle d'architecture-produit ; l'assimilation culturelle des signes architecturaux, qui revêtent la valeur d'indicateurs, de propulseurs de la fonction, quasiment inexistante, dans le milieu où s'intègre l'oeuvre.

En d'autres termes, l'abandon de la symbolisation monumentale coïncide avec la substitution du milieu urbain par le milieu rural et par la suppression de l'écart qui existe entre ces deux cultures architecturales. A partir de là, la signification symbolique de la fonction, exprimée dans l'acte même de sa réalisation — dans la structure minimum indispensable à sa réalisation — implique le passage de la non-fonction à la fonction sociale, c'est-à-dire, le passage de l'infra-culture à la culture sociale ; l'architecture apparaît alors comme le résultat d'une réponse technico-fonctionnelle, indicative, indication typologique schématique de la fonction spécifique, qui peut pour la première fois entrer en vigueur dans le cadre rural.

La faible influence des traditions locales, comme le lent dépassement des schémas typiques de l'organisation sociale, libèrent l'architecture de ses références limitatives, qui inhibent la créativité à l'échelle de l'urbanisme. Cependant, le développement technologique n'a pas encore permis la matérialisation des nouveaux concepts fondamentaux, qu'il est impossible de réaliser avec les moyens techniques traditionnels. Il s'ensuit que tout l'effort actuel se trouve centré sur la formation de cadres connaissant la technologie la plus avancée — dans le domaine des projets comme dans celui de la construction — appliquée dans des systèmes ouverts, dont la souplesse permette la concrétisation par étapes des projets prospectifs, tout en conservant l'étroite unité des ensembles et sans tomber dans une figuration technocratique aliénante qui annule la symbolisation communicative de la vie sociale. Dans la mesure où la société, au cours de son développement, va vers des transformations radicales nécessaires pour se libérer des entraves du passé et des schémas caducs, dans la mesure aussi où la vie collective domine sur la vie individuelle, l'architecture pourra apporter sa réponse grâce aux nouveaux condensateurs de la vie sociale, dont les formes surgiront des composantes fonctionnelles renouvelées, où les figurations symboliques ou monumentales, gratuites ou autonomes, passeront au second plan.

L'héritage historique reçu montre l'unité indissoluble entre les nouvelles conditions d'existence et une architecture révolutionnaire, qui le soit, non seulement d'un point de vue formel, mais encore parce qu'elle imprime sa forme à l'espace existentiel de la vie sociale. Seul le développement unitaire de la communauté peut déterminer le domaine homogène, où les signes architecturaux répondront à la complexité sémiotique de la culture interdisciplinaire reposant sur des fondements scientifiques et sur la dynamique sociale révolutionnaire.

Les aspirations d'Hannes Meyer (86), voulant aboutir à une architecture créée à partir de la souplesse révolutionnaire et d'une objectivité scientifique, cadre de l'homme nouveau, doivent encore se concrétiser. Le Tiers-monde est capable de montrer que l'affirmation de l'homme à travers le travail créateur révolutionnaire peut donner une nouvelle signification à l'environnement constitué de façon homogène à partir du concept renouvelé d'intégration sociale et d'assimilation de la pratique technique et esthétique aux conditions objectives de la praxis sociale. Elle perd de la sorte tous les attributs aliénants; pseudo-symboliques, sacralisants, qui caractérisent l'architecture actuelle, faussement « humanisée » et s'opposant au contenu authentique produit par l'activité sociale révolutionnaire. En se fondant sur ces principes, l'homme nouveau qui tente de forger une société où la participation globale déracine toute action agressive, peut engendrer une architecture révolutionnaire. Il doit pour cela, déterminer l'orientation dialectique du développement souhaité, en engendrant les contenants spaciaux représentatifs et déterminants de la vie fonctionnelle de la communauté à partir du contenu social.

La Havane
juillet 1969
Traduit de l'espagnol par Nello Zagnoli.



NOTES

(1) Il n'existe pas actuellement de terminologie adéquate, relevant d'une interprétation marxiste, du « niveau architectonique ». C'est pourquoi, lorsque nous utilisons le terme de « pratique architecturale », nous nous référons à une classification élaborée par Hubert Tonka, Jean-Paul Jungman et Jean Aubert qui analysent la situation de l'architecture dans le monde développé, et tout particulièrement en France (L'Architecture d'aujourd'hui, n° 139, septembre 1968, p. 81 : « L'architecture comme problème théorique »). Les auteurs ont mis au point une terminologie permettant de classer les différents niveaux (activité architectonique, pratique architectonique et pratique architecturale) et qui correspond aux conditions de la société bourgeoise. Elle ne peut donc être directement transposée dans une société socialiste. Nous nous servons de ce terme, dont nous acceptons la valeur globale, la portée générale, tout en étant conscients qu'il est nécessaire de clarifier les divers facteurs qui composent la « pratique architecturale ».
(2) Il existe actuellement une tendance à remplacer le terme d' « architecture », dont la portée est limitée, par celui plus large de « composition de l'environnement», qui a l'avantage d'intégrer les divers niveaux auxquels on opère, depuis le dessin industriel jusqu'à la planification territoriale.
(3) C'est le principe d'une essence de l'homme comme attribut d' « individus pris isolément * (Althusser) sans pour autant nier l'existence de principes qui extériorisent la particularité de l'homme : le travail, son être social, son être historique (Garaudy).
(4) Geoffrey Scott, The architecture of Humanism. Londres, Doubleday & Co. N.T., p. 159 :
« Nous transcrivons l'architecture en des termes qui nous sont propres. C'est cela l'humanisme en architecture. C'est la tendance à projeter l'image de nos fonctions dans des formes concrètes. C'est là la base de l'architecture ou du dessin créateur».
(5) Nous faisons allusion au fait que les valeurs humaines sont soulignées dans l'architecture, et non à la signification historique « de l'architecture de l'humanisme » qui correspond à la Renaissance florentine. Cf. Rudolf Wittkower, La arquitectura en la edad deî Humanismo, Edit. Nueva Vision, Bs. As. 1958.
(6) Matthew Nowicki, « Function and Form », dans Roots of Contemporary American Architecture, Recueil de Lewis Mumford, Reinhold, N.Y. 1952, p. 404. « L'humanisme peut être tenu pour le principe fondamental du nouveau mouvement, contrairement à ce qu'indique son titre officiel de fonctionnalisme ».
(7) La possibilité de faire appel au contenu « humaniste » de l'architecture à partir des positions les plus diverses a été très bien montrée dans une série d'articles sur « Architecture et Humanisme » parus dans Architecture Formes-Fonctions, n° 14, 1967-68, Lausanne, et écrits par des architectes et des critiques appartenant à des pays capitalistes et socialistes.
(8) Louis Althusser, Pour Marx, Paris 1965, François Maspero, p. 246 : « Mais il pourrait être également dangereux d'user sans discrimination ni réserves, comme si c'était un concept théorique, d'un concept idéologique comme l'humanisme, chargé, quoi qu'on fasse, des associations de l'inconscient idéologique, et qui recoupe trop aisément les thèmes d'inspiration petite bourgeoise ».
(9) Georg Lukacs, Histoire et conscience de classe, Paris, 1960, Ed. de Minuit, p. 41 : « ... parce que, dans les conditions de vie du prolétariat, sont résumées dans leur paroxysme le plus inhumain, toutes les conditions de vie de la société actuelle ; parce qu'en lui, l'homme s'est perdu lui-même, mais en même temps, a non seulement acquis la conscience théorique de cette perte mais a été contraint immédiatement, par la misère qui ne peut plus être rejetée ni embellie, et qui est devenue absolument impérieuse — expression pratique de la nécessité — à la [défaut d'impression]
(10) Adam Schaff, La fïlosofia del hombre, Editions Lautaro, 1964, Bs. As., p. 166 : « La quintessence du socialisme scientifique réside dans son humanisme, et la quintessence de cet humanisme, c'est sa conception du bonheur individuel ». Il y a dans cette affirmation une ambiguïté qui la rapproche des postulats moteurs de la société capitaliste de consommation.
(11) Louis Althusser, op. cit p. 227 : « De fait, la lutte révolutionnaire eut toujours pour objectif la fin de l'exploitation et donc la libération de l'homme ».
(12) Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Petite collection Maspero, Paris, 1969, p. 54 : « Monde sous-développé, monde de misère et inhumain. Mais aussi monde sans médecins, sans ingénieurs, sans administrateurs. Face à ce monde, les nations européennes se vautrent dans l'opulence la plus ostentatoire. Cette opulence européenne est littéralement scandaleuse car elle a été bâtie sur le dos des esclaves, elle s'est nourrie du sang des esclaves, elle vient en droite ligne du sol et du sous-sol de ce monde sous- développé ».
(13) Herbert Marcuse et autres, La sociedad industrial contemporanea, Ed. Siglo XXI., Mexico, 1967. « Libertad y agresion en la sociedad tecnologica », p. 55. Nous n'entendons pas nier par là l'existence de l'agressivité au sein de la société socialiste, en particulier au cours de la période de transition entre les vieilles et les nouvelles structures. Les déboîtements structurels produits par le changement, en particulier dans le domaine social et dans le domaine de la production, déterminent des carences matérielles et des frictions sociales qui engendrent l'agressivité. Mais celle-ci n'a pas les mêmes caractéristiques que l'agressivité dans la société « technologique » néo-capitaliste : tandis que cette dernière tend à devenir plus aiguë avec l'accroissement des contradictions, l'équilibre lentement atteint dans la société socialiste tend à éliminer cette agressivité.


(14) André G. Frank, « Sociologïa del desarrollo y subdesarollo de la sociologïa ». Pensamiento critico, n° 22, La Havane, 1968, p. 192. C'est là la thèse que soutiennent certains économistes et sociologues, qui estiment que le sous-développement peut être dépassé grâce à la promotion strictement économique, intégrée dans le cadre fixé par les pays développés.
(15) Nous nous référons aux pays du Tiers-.monde où s'est produit une révolution qui a débouché sur une structure politique socialiste. L'Algérie constituerait une exception, dans la mesure où elle n'a pas conduit ce mouvement tout à fait à son terme.
(16) Georg Lukacs, op. cit. p. 106 : « La lutte pour cette société, dont .aussi la dictature du prolétariat n'est qu'une simple phase, n'est pas seulement une lutte contre l'ennemi extérieur, la bourgeoisie, mais elle est en même temps une lutte du prolétariat contre lui-même : contre les effets dévastateurs et dégradants du système capitaliste sur la conscience de classe ».
(17) Il est impossible de généraliser pour ce qui est d'une orientation unitaire de la culture du Tiers-monde « libéré ». Chaque pays possède ses caractéristiques propres en rapport avec le procès de développement inégal, et selon qu'il s'agit de pays encore dépendants ou qui sont en voie de libération. C'est pour cela que les affirmations générales que l'on trouvera dans le présent essai seront faites à partir de l'analyse spécifique de l'expérience cubaine, c'est-à-dire d'un pays libéré, en voie de développement et qui participe aux traditions culturelles de l'Occident.
(18) C'est un phénomène caractéristique de l'Amérique latine, où les coups d'état militaires prétendent s'institutionaliser comme expression d'un procès révolutionnaire, ce qui est complètement faux, étant donné qu'ils ne partent pas d'une action populaire, et ne transforment pas la structure économique et sociale régnante. On trouve un exemple caractéristique de ce phénomène dans la terminologie des militaires argentins : Révolution libératrice, Révolution argentine, etc..
(19) Emil Kauffmann, « Three revolutionary archïtects », Transactions of the American Philoéophical Society, 1952, vol. 42, 3e partie. Nous ne faisons aucune référence à l'Angleterre étant donné que la prise du pouvoir par la Bourgeoisie au xvne siècle n'offre pas de correspondance architecturale représentative du nouveau contenu idéologique, ni une image urbaine qui exprime en termes fonctionnels ou formels la nouvelle société. Le goût bourgeois s'identifiera avec le goût artistique dont le ton sera donné par la pratique constructive urbaine.
(20) Manfredo Tafuri, « Simbolo e ideologia nell ' architettura dell ' Illuminismo ». Comunità 124/125, Nov.-Déc. 1964, p. 76.
(21) Giulio Carlo Argan, El concepto del espacio arquitectonico desde el Barroco a nuestros dias, Ed. Nueva Vision, Bs. As., 1966, p. 139. Le même concept d' « ordre social » se trouve exprimé dans le traité de Ledoux : « L'architecture considérée sous le rapport de l'Art, des Moeurs et de la Législation ». Cf. Marcel Raval et J.-Ch. Mareux : C.N. Ledoux, 1756-1806, Arts et Métiers Graphiques, Paris, 1945.
(22) L'hypothèse de l'inspiration puisée dans les habitations paysannes, qui aurait motivé le langage élémentaire, ou celui de la « marque de la technique » dans le traitement industriel, paraît hasardeuse parce qu'elle projette sur une autre époque notre propre problématique, qui s'oppose aux projets de Ledoux, qui consistaient dans la simplification des formes classiques afin d'aboutir à une référence symbolique et visuelle immédiate, perçue comme une unité monumentale et constituée d'éléments indépendants. Cf. Helen Rosenau, Boullée's Treatise on Architecture, Alec Tiranti, Londres, 1953, et Enzio Bonfanti, « Emblemàtica délia teenica », Edilizia Moderna, n° 86, p. 14.
(23) Françoise Choay, « Sémiologie et Urbanisme », L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 132, Juin-Juillet 1967, p. 136.
(24) Georg Lukacs, Estética, la peculiaridad de la estético, Tome IV, Ed. Grijalbo, Barcelone, 1967, p. 136.
(25) Renato de Fusco, L'idea di architettura, Storia délia critica da Viollet-le-Duc a Persico, Ed. Comunità, Milan, 1964, p. 205.
(26) Les premiers tâtonnements se manifestèrent par l'abandon des arcs et colonnes dans les édifices, mais en conservant encore les volumes et la composition traditionnels. Puis on vit les modèles occidentaux, depuis Mies van des Rohe jusqu'à Niemeyer, ainsi qu'une plus grande souplesse dans les éléments préfabriqués. Néanmoins, la transformation de la « pièce » architecturale autonome pour en faire une composante d'une nouvelle structure urbaine dynamique, ne se manifeste encore que sous forme de proposition théorique sans dépasser les formulations des années trente. On peut citer les expériences d'Oskar Hansen en Pologne — le grand ensemble de Lublin — ; le projet pour la nouvelle ville d'Etarea en Tchécoslovaquie ; l'organisation urbaine proposée en U.R.S.S. — (NER) nouvelle unité d'établissement urbain — par un groupe de jeunes architectes de Moscou, ou les projets de l'équipe interdisciplinaire dirigée par l'architecte André Meyerson, dont les résultats concrets n'ont pas égalé les prémisses. Néanmoins les symboles monumentaux demeurent présents en U.R.S.S. — sauf pour l'ensemble de l'avenue Kalinine à Moscou — comme on peut s'en apercevoir dans le livre récent : V.A. Shkvaricov, N.Ia. Kolli, V.A. Lavrov, M.O. Xauke, L.N. Kulaga, O.V. Smirnov, E.B. Sokolov, I.N. Maguidin, Construcciones urbanas en la V.B.8.S., 1917-1967. Editorial de littérature sur la construction, Moscou. 1967. Voir aussi Anatole Kopp, Ville et Révolution, Editions Anthropos, Paris, 1967, et A. Buburov, G. Djumenton, A. Gutnov, S. Kharitonova, I. Lezaya, S. Sadovskij, Idée per la città comunista, Il Saggiatore, Milan, 1968.
(27) Anatole Kopp, op. cit. p. 258. Lettre de Guinzbourg à Le Corbusier : « ...Mais nous, en U.R.S.S., nous devons quoi qu'il en coûte faire accéder à la culture toute notre population et pas seulement les citadins... Et pour cela, il faut créer des conditions nouvelles, socialistes, un nouveau mode d'aménagement du territoire sur la base de l'élimination des disparités entre la ville et la campagne ».
(28) Léon Trotsky, Letteratura, Arte, Libertà, Ed. Schwarz, Milan, 1958, p. 103 : « L'homme se chargera de la restructuration des monts et des fleuves, et il corrigera continuellement la nature. La terre sera transformée à son image, ou du moins à son goût... L'homme socialiste dominera la nature dans toute son étendue... L'homme nouveau qui seulement maintenant commence à apparaître et à prendre conscience de lui-même ». Voir aussi Vittorio Gregotti « Survival and Growth », Marcatrê 37-40 Lerici, Milan, Mai 1968, p. 43 : « Je crois que cette essence constitue à proprement parler la notion de milieu physique pour l'habitat comme pour l'existence de l'homme sur terre, et que la spécificité de l'architecture consiste précisément dans la construction de ce milieu ».
(29) Augusto Perilli, « Poetiche del planning contemporaneo ». Casabeïla-continuità, n° 292, p. 41.
(30) L'importance attribuée à la technique correspond à l'identification de l'architecture avec la science, en d'autres termes il s'agit, au sein d'une conception marxiste de ce niveau de la pratique spécifiquement artistique, de réduire au minimum les éléments subjectifs et intuitifs, tout particulièrement par rapport au procès de production industrielle. On trouve une claire synthèse de cette conception dans les 13 principes de l'architecture marxiste énoncés par Hannes Meyer. Cf. Claude Schnaidt, Hannes Meyer, Buildings, Projects and Writings, A. Nigli, Teufen, 1965.
(31) K. Zelinskij, « Ideologia e compiti dell' architettura sovietica», Rassegna Sovietica, n° 1, Rome, 1964, p. 64 : « Un édifice peut-il exprimer la conception du monde du prolétariat ? Le pro- létariat peut seulement indiquer à l'architecture un objectif de caractère général, que l'architecture réalisera sur le plan de sa logique technique, c'est-à-dire en adaptant cet objectif aux lois et aux particularités de la construction ».
(32) Christian Norberg-Schultz, Intenzioni in architettura, Ed. Lerici, Milan, 1967, p. 162.
(33) Isaac Deutscher, La Révolution inachevée 1917-1967, Robert Laffont, Paris, 1967, p. 60 : « Le marxisme en effet, considère l'épanouissement du caractère « social » du mode de production comme la condition historique essentielle de l'avènement du socialisme. Sans cette condition, le socialisme ne peut être qu'un château en Espagne. Tenter d'imposer un contrôle social à un mode de production qui n'est pas intrinsèquement social est aussi incongru et anachronique que de maintenir un contrôle privé et compartimenté sur un mode de production déjà socialisé. En Russie, cette condition préalable à l'avènement du socialisme n'existait pas, et elle ne peut d'ailleurs exister dans aucun pays sous-développé. L'agriculture dont vivaient les trois quarts de la population comprenait 23 à 24 millions de minuscules exploitations soumises aux fluctuations imprévues du marché. L'industrie d'Etat ne constituait qu'une petite enclave dans cette économie primitive et anarchique ».
(34) Ce qui s'est produit en U.R.S.S. et les contradictions du monde capitaliste montrent l'impossibilité d'éviter le compromis politique et idéologique, comme cela s'est aussi produit dans certaines expériences concrètes dans le Tiers-monde. C'est pour cela que nous ne suivons pas de Fusco lorsqu'il soutient qu' « aujourd'hui il est probable que de nouvelles utopies, de nouvelles indications idéologiques qui dépassent les schémas des institutions périmées et sclérosées, puissent naître plus facilement dans le monde de la culture que dans celui de la politique active. De là la raison d'être d'une culture autonome phénoménologique, ou mieux, sans adjectifs ». Cf. Renato de Fusco, Architettura corne mass média. Note per una semiologia architettonica, Dedalo Libri, Bari, 1967, p. 37.
(35) Anatole Kopp, op. cit. p. 265. Décision du Comité Central du Parti Communiste Bolchevik, Pravda, 29 Mai 1930 : « Le Comité Central note que parallèlement au mouvement pour un mode de vie socialiste, des tentatives extrémistes, non fondées et semi-fantastiques, et par là même extrêmement nuisibles, sont faites par certains camarades (Sabsovitch, Larine et d'autres) dans le but de franchir « d'un seul bond» les obstacles rencontrés sur le chemin de la transformation socialiste du mode de vie ; obstacles qui ont leurs racines, d'une part dans l'arriération économique et culturelle du pays, et d'autre part, dans la nécessité, à l'étape actuelle, de consacrer l'essentiel des ressources à l'industrialisation accélérée du pays qui seule créera les bases nécessaires à une transformation radicale du mode de vie ».
(36) V.I. Lénine, Sur la littérature et l'art, textes choisis, Ed. Sociales, Paris, 1957, p. 167.
(37) Antonio Gramsci, Literatura y vida nacional, Ed. Lautaro, Bs. As., 1961, p. 49 : « ... dans une civilisation qui connaît un développement rapide, où le « panorama urbain » doit être très « élastique », ne peut pas surgir un grand art architectural, car il est difficile de concevoir des édifices construits pour l' « éternité ». Selon moi, un grand art architectural ne peut apparaître qu'après une étape transitoire de caractère « pratique » où l'on essaiera seulement de satisfaire au maximum les besoins élémentaires de la population de la façon la meilleure... ».
(38) Cf. Casabella-continuità, n° 208, Nov.-Déc. 1955, p. 3, E.N. Rogers, « Politica e architettura ». Délibération du C.C. du P.C.U.S. et du Conseil des Ministres de l'U.R.S.S. sur l'élimination du superflu dans les projets et dans la construction ; et aussi Rassegna Sovietica, n° 2, Fév. 1955.
(39) Académie des Beaux-Arts de l'U.R.S.S., Ensayos de estética marxista-leninista, Ed. Pueblos Unidos, Montevideo, 1961, p. 222 : « La tendance à la représentation de caractère symbolique, habituelle aux premières étapes de l'architecture, est un signe du manque de maturité de l'art en question ; de plus, dans les temps modernes, la tendance à la représentation symbolique possède un caractère ouvertement formaliste et conduit à la construction d'édifices absurdes, incommodes, faux du point de vue idéologique et esthétique, édifices qui enlaidissent les villes... Les architectes tendent à rendre manifeste de façon explicite l'énorme contenu idéologique de la construction, en la complétant directement avec des éléments empruntés aux arts plastiques ».
(40) Georg Lukacs, op. cit. tome TV, p. 139. Cf. aussi Hans Sedlmayr, El arte descentrado, Ed. Labor, Madrid, 1958, et Ortega y Gasset, La deshumanizacion del arte, Revista de Occidente, Madrid, 1962.
(41) Hubert Tonka, Jean-Paul Jungmann, Jean Aubert, op. cit. p. 81.
(42) Le Corbusier, Towards a new architecture, The architectural Press, Londres, 1948, p. 251.
(43) Henri Lefebvre, « Claude Lévi-Strauss et le nouvel éléatisme », L'Homme et la Société, Ed. Anthropos, nos 1-2, 1966, Paris.
(44) Giulio Carlo Argan, Salvacion y caida del arte modemo, Ed. Nueva Vision, Bs. As., 1966, p. 55 : « La possibilité d'éduquer, de former ou de reformer la société through design, c'est-à-dire à travers un training de projets et de technique, se trouvait subordonnée à la possibilité pour l'artiste qui fait un projet de contrôler et d'orienter le développement progressif de la technique, et, de façon plus générale, le comportement actif ou productif de la société : en d'autres termes, d'assumer la direction politique de la production ». Hypothèse inconcevable dans un système où l'industrie n'est pas animée par des motivations sociales, mais par des motivations économiques.
(45) Giovanni Klaus Koenig, L'invecchiamento dell'architettura moderna, Libreria Editrice Fiorentina, 1963, p. 16.
(46) C'est la classification de l'architecture actuelle, menée à partir de critères d'évolution technico-esthético-formels, qu'effectue curieusement F. Choay, qui invalide ses expériences antérieures de critique structuraliste. Françoise Choay, « Venti anni di architettura », Revue d'Esthétique, n° 4, 1967. Cité dans op. cit. n° 12, Mai 1968, p. 54.
(47) Guido Canella, « Mausolées contre computers ». L'Architecture d'aujourd'hui, n° 139, Sept. 1968, p. 5.
(48) Patrizia Pizzinato, Angelo, Villa, « Anni 60 : architettura corne sospensione del senso », Marcatré 37-40, Lerici, Milan, 1968.
(49) Robert Venturei, Denise Scott Brown, « A significance for A and P parking lots or learning from Las Vegas », Architectural Forum, Mai 1968, p. 36. Cf. aussi Reyner Banham, « Towards a million-volt light and Sound culture », Architectural Revicw, n° 843, Mai 1967, p. 331.
(50) P. Pizzinato, A.A. Villa, «Archigram», Marcatré, 34-35-36, Lerici, Milan, 1967, p. 180.
(51) Vittorio Gregotti, op. cit. p. 43.
(52) Renato de Fusco, op. cit. p. 33.
(53) Selon de Fusco, « les conditions précaires de la forme architecturale dénotent essentiellement trois facteurs, typiques de tout mass médium : 1) l'hédonisme absolu ; 2) le dégagement de toute idéologie ; 3) la réduction au présent de toute autre dimension temporelle. Op. cité. p. 15.
(54) Vittorio Gregotti, « Les nouvelles tendances de l'architecture italienne ». L'Architecture aujourd'hui, n° 139, Sept. 1968, p. 8.
(55) Herbert Marcuse, L'homme unidimensionnel. Essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée. Paris, 1968, p. 86 : « Dans le domaine de la culture, le système totalitaire nouveau se manifeste précisément sous la forme d'un pluralisme harmonieux ; les oeuvres et les vérités les plus contradictoires coexistent paisiblement, dans l'indifférence ».
(56) Herbert Marcuse, et autres, La sociedad industrial contemporanea, op. cit. « Les pays sous-développés, précisément à cause de leur situation, peuvent avoir la possibilité d'éviter l'étape de la société d'abondance avec ses aspects répressifs et inhumains ».
(57) Un exemple que l'on peut tenir pour classique, qui rend compte de cette remarque, c'est le soulèvement de Paris en Mai 1968, qui « ébranla » le système, en opérant une synthèse entre les contradictions internes et l'expérience des peuples du Tiers-monde en lutte. On peut en trouver la transcription en termes d'architecture dans : Le Carré Bleu, n° 3, Paris, 1968.
(58) Frantz Fanon, op. cit.
(59) A Cuba cette homogénéité s'est faite aux dépens des esclaves qui se trouvaient confinés à l'extérieur de la société comme de la culture. C'est-à-dire qu'ils possédaient une culture propre, qui s'est opposée dialectiquement à la culture espagnole, constituant la base des racines locales de la culture cubaine, libérée de son isolement forcé à la fin du xixe siècle. « L'idéologie du groupé dominant créole blanc au cours de la première moitié du xvme siècle reflète la super-structure de la société coloniale, la stratification inflexible de la structure sociale. Il en ira ainsi jusqu'à la guerre de Dix Ans, où sont rompues les chaînes de l'esclavage, où se constituent de nouvelles relations dans la société cubaine ». Jorge Ibarra, Ideologia mambista, Instituto del Libro, La Havane, 1967, p. 21.
(60) C'est la persistance d'une culture politique révolutionnaire, anticolonialiste, et anti-impérialiste qui apparaîtra dans les moments culminants de la lutte politique cubaine, à travers trois figures de premier plan : José Marti au cours des Guerres d'Indépendance ; Julio A. Mella au cours des mouvements populaires des années 20 à 30, et Fidel Castro dans la révolte contre la dictature de Battista.
(61) Nous ne sommes pas d'accord avec la thèse du manque de contenu idéologique des mass média, étant donné qu'au contraire, toute l'information qui en provient doit produire un modèle de comportement individuel, au sein de la communauté, ce qui l'assimile à une orientation idéologique, imposée par la bourgeoisie.
(62) Dans le monde sous-développé, l'art « pop » constitue le pire héritage légué par la pénétration de la haute technologie industrielle, et il n'opère pas dans le sens de l'intégration de la culture, mais il tend à conserver l'antithèse entre la culture élitaire — qui demeure inchangée — et la culture des masses. Nous sommes en ce sens d'accord avec G. Dorfles sur le caractère « snob » et décadent qu'implique la revalorisation du kitsch, dont le contenu est déterminé par la bourgeoisie commerciale et monopoliste. Cf. Gillo Dorfles, Il Kitsch, Antologia des cattivo gusto, G. Mazzotta, Ed. Milan, 1968, et aussi Gillo Dorfles, Nuovi miti, nuovi riti, Einaudi, Turin, 1965, p. 181.
(63) P. Parât, Ch.-H. Arguillère, « l'individuel », rêve, cauchemar, tendances ». L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 136, Fév.-Mars 1968.
(64) Ernesto Che Guevara, Le Socialisme et l'homme à Cuba. OEuvres III — Textes politiques — Petite collection Maspero, Paris, 1968, p. 27 : « Puis vint l'étape de la guérilla... Et, à mesure que nous faisions nôtres les idéaux du prolétariat, qu'une révolution s'opérait dans nos habitudes et dans nos esprits, l'individu restait encore un facteur fondamental ».
(65) Le prétendu contenu « humaniste » des premières années de la Révolution constitue encore un sujet de polémiques. Il s'agissait en fait d'une formulation vague qui permettait une stratégie politique bien définie. Les déclarations de Fidel Castro lors du jugement des attaquants de la Moncada en 1953, ne laissaient pas de doute quant au contenu de classe du procès révolutionnaire : « Lorsque nous parlons de peuple, nous n'entendons pas des secteurs aisés et conservateurs de la nation... Nous entendons par peuple, lorsque nous parlons de lutte, la grande masse insoumise... Nous nous référons aux six cent mille Cubains qui sont chômeurs et qui désirent gagner leur pain honorablement sans devoir émigrer de leur patrie à la recherche de travail ; nous nous référons aux cinq cent mille ouvriers agricoles qui habitent dans les bohios misérables, qui travaillent quatre mois par an et qui le reste du temps meurent de faim, partageant leur misère avec leurs enfants... ». Fidel Castro, La historia me absolvera, Editora politica, La Havane, 1964, p. 73.
(66) Ernesto Che Guevara, op. cit. p. 285 : « L'important, c'est que les hommes acquièrent chaque jour une plus grande conscience de la nécessité de leur incorporation dans la société et en même temps de leur importance comme moteur de celle-ci ».
(67) En aucune façon, on ne peut imaginer la mort de l'idéologie, ou la disparition de l'idéologie dans une société révolutionnaire, comme le montre bien Althusser : « Il est clair que l'idéologie (comme système de représentations de masse) est indispensable à toute société pour former les hommes, les transformer et les mettre en état de répondre aux exigences de leurs conditions d'existence... C'est dans l'idéologie que la société sans classes vit l'inadéquation — adéquation de son rapport au monde, en elle et par elle —, qu'elle transforme la « conscience » des hommes, c'est-à-dire leur attitude et leur conduite, pour les mettre au niveau de leurs tâches et de leurs conditions d'existence ». Louis Althusser, op. cit. p. 242.
(68) L'utopie ne constitue pas ici la formulation d'un idéal impossible, ou d'une société abstraite, dominée par la technique ; elle n'est pas non plus conçue en contradiction avec l'idéologie, comme le soutient Argan, mais comme la construction d'un modèle théorique, ou socio-économico-culturel, qui constitue un défi pour la praxis sociale, en accélérant le temps historique, c'est-à-dire la continuité du temps révolutionnaire. C'est pour cela que nous partageons l'utopisme de Lefebvre — le possible est partie intégrante du réel — alors que nous ne sommes pas d'accord avec la négation de l'utopie comme idée-force. Cf. Henri Lefebvre, « Propositions », L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 132, Juin-Juil. 1967, p. 14, et Giulio Carlo Argan, Progetto e Destino, Il Saggiatore, Milan, 1965, p. 12.
(69) Fidel Castro, Discours sur les marches de l'Université de La Havane, pour commémorer les martyrs du 13 Mars. Granma, 14 Mars 1969. « Nous ne pouvons pas fonder le devoir sur la vieille conception qui voyait dans le devoir un sacrifice. Il faut qu'il se fonde sur une conception nouvelle, équivalente du travail. Et il est vraiment admirable de voir que les hommes peuvent trouver dans le contenu du travail un des principaux stimulants... Si nous voulons qu'un jour tous les hommes travaillent avec cet esprit, le sentiment du devoir ne suffira pas, le concept moral ne suffira pas : il faudra que le contenu du travail lui-même, dirigé par l'intelligence de l'homme, que le contenu merveilleux du travail, devienne une des motivations fondamentales. Et cela ne sera possible que dans la mesure où toute la société sera capable d'assimiler ce contenu, de dominer ce contenu, et de découvrir ce contenu ».
(70) Claude Schnaidt, « Architecture and political commitment», ULM, nos 19-20, Août 1967, p. 26.
(71) C'est vouloir qu'un jour il n'existe plus de différence entre les conditions de vie d'un technicien universitaire et d'un travail manuel, qui doit lui-même disparaître en tant que tel ; il en va de même pour la nouvelle conception du travail, conçu comme une nouvelle catégorie du devoir social, Fidel Castro, « Discours commémoratif du 26 Juillet à Santa Clara», Granma, 27 Juillet 1968. « Donner à un homme plus de richesse collective parce qu'il remplit son devoir et produit plus et accroît son travail créateur pour la société, c'est transformer la conscience en richesse ».
(72) Léon Trotsky, op. cit. p. 70 : « Le prolétariat est obligé d'abord de conquérir le pouvoir, bien avant de s'être approprié les éléments fondamentaux de la culture bourgeoise : il est justement obligé de renverser par la violence la société bourgeoise parce que cette société lui barre le chemin de la culture ».
(73) Fidel Castro, Paroles aux intellectuels, 30 Juin 1961. Conseil National de la Culture, « nous devons créer les conditions favorables pour que tous ces biens culturels atteignent le peuple. Cela ne veut pas dire que l'artiste doive sacrifier la valeur de ses créations, et qu'il doive nécessairement sacrifier la qualité. Cela veut dire que nous devons lutter à tous les points de vue pour que le créateur produise pour le peuple et que le peuple à son tour élève son niveau culturel afin de se rapprocher des créateurs... ».
(74) La radio, la télévision, les journaux, le cinéma, etc., ont été utilisés pour développer la formation politique de la population, établissant les bases d'une maturité théorique que fonde la praxis quotidienne. Par ces moyens, par exemple, celui de la télévision, Fidel Castro est arrivé à une véritable communication avec le peuple, infirmant le point de vue de McLuhan selon qui la télévision, médium froid, affaiblit cette relation. Par ailleurs, la communication n'est pas à sens unique, mais il y a toujours participation de ceux qui reçoivent l'information. On en trouvera un exemple récent dans la création d'un émetteur de radio, Radio Cordon de La Habana, lequel, à travers les dialogues, les enquêtes, les entrevues, en plus de la communication culturelle, sonde les opinions, les problèmes des travailleurs, donnant au travail le sens d'une participation communautaire. Ce qui fait que l'affirmation d'Umberto Eco est elle aussi démentie. En effet, ce dernier écrit : « ...A la limite on peut soupçonner que les moyens de communication sont des moyens aliénants, même s'ils appartiennent à la communauté ». Cf. Marshall McLuhan, Gli strumenti del communicare. Il Saggiatore, Milan, 1967 et Umberto Eco, « Il médium e il messagio », Marcatré, 37-40, Mai 1968, p. 36.
(75) La communication graphique a cessé d'exprimer la réification de l'homme ou des hiérarchies sociales que soutient la publicité. Le contenu commercial a été remplacé par un contenu moral : « la base de la morale socialiste est constituée par la solidarité, l'impatience, l'insatisfaction pour ce qui existe. La morale socialiste est la morale de la transformation révolutionnaire de tous les rapports sociaux, en se fondant sur la solidarité toujours plus grande entre les hommes. A partir de ce contenu, la communication devient toujours plus intense parce qu'elle correspond aux nouvelles conditions de l'urbaniste, qui ne doit plus se prostituer pour vendre ses idées afin d'atteindre les objectifs sans scrupules de la commercialisation ». Cf. Robert Havemann, Dialectica senza dogma, Einaudi, Turin, 1965, p. 165.
(76) L'indépendance entre un art populaire et un art obéissant à des motivations politiques ou économiques qui lui sont extérieures se trouve niée. Le colonialisme ayant détruit toute tradition folklorique ou locale, la nouvelle synthèse s'effectue à un niveau supérieur, une fois effacées les les tares du passé. C'est pour cela que la classification de E. Estival, concernant l'art populaire, nous paraît schématique. Cf. R. de Fusco et G. Mottura, « Artisticità dei Mass Media », op. cit. n° 8, Janv. 1967,, p. 20.
(77) L'accent mis sur les éléments collectifs par rapport aux éléments individuels a pour objectif la création d'une conscience sociale qui considère le monde des objets comme des instruments nécessaires pour la vie pratique, refusant de la sorte l'aliénation ou la réification, qui se produit à travers la possession d'objets engendrant l'avidité imitative de consommer que connaissent les pays capitalistes, comme cela s'est produit dans d'autres pays socialistes. Cf. André Gorz : « Le socialisme difficile » dans La sociedad industrial contemporanea, Ed. Siglo XXI, 1967, Mexico, p. 127.
(78) C'est la destruction de l'art-trésor ou du dessin-symbole social, qui deviennent dessin-fonction ou art-fonction, expressifs du point de vue de l'éducation. Giulio Carlo Argan, « Design e Mass Media », op. cit. n° 2, Janv. 1965, p. 11.
(79) Gillo Dorfles, « Crëscita e soprawivenza nella civiltà tecnologica », Marcatré 37-40, Lerici, Milan, 1968, p. 35.
(80) Ce procès ne correspond, pas à une volonté se manifestant par un programme théorique, mais aux facteurs réels qui déterminent la vie de la cité : la diminution de la consommation individuelle rend inutile la structure commerciale du centre ; le choix du plus vaste espace libre urbain de la ville en fait le centre politique ; les services commerciaux de distraction de la bourgeoisie dans le quartier du Velado font de cette zone le nouveau centre culturel. Les urbanistes assumeront cette réalité « de fait » et créeront les formes qui recevront et caractériseront les diverses fonctions.
(81) Fidel Castro, La Historia me absoïvera, Edicion Révolutionaria, La Habana. Dans cet écrit furent formulés les principes fondamentaux que par la suite la Révolution devait mettre en pratique une fois renversé le régime en place.
(82) Fidel Castro. Discours pour l'inauguration d'une école primaire en semi-internat dans El Cangre, Guïnes, 5 Janvier 1969. « De cette façon les plans agricoles sont déjà en quelque sorte sous forme de maquettes, et ce sont des architectes qui travaillent à la planification physique ; ils indiquent les chemins, les rideaux d'arbres contre le vent, l'emplacement des installations, des canaux d'irrigation, des canaux de drainage, l'emplacement de chaque chose. »
(83) Emilio Battisti, Sergio Crotti, « Note sulla lettura del paesaggio antropogeografico », Edïlizia Moderna 87-88, p. 59. « L'homme en rapport avec le paysage découvre que sa confrontation éventuelle avec la nature est riche de possibilités et que ce paysage n'est rien de plus que le support potentiel de la totalité de ses actes vitaux. »
(84) Herbert Marcuse, Eros et Civilisation, Paris, 1969, p. 166. « Etabli comme principe de civilisation, l'instinct de jeu transformerait littéralement la réalité. La nature, le monde objectif ne seraient alors vécus ni comme dominant l'homme (comme dans la société primitive) ni comme étant dominés par l'homme (comme dans la civilisation d'aujourd'hui) mais plutôt comme objets de « contemplation ». Chez nous, nous arriverons à une synthèse plus complète que celle formulée par Marcuse, on intégrant « action- contemplation » dans une relation dialectique, niant ainsi la passivité complète inhérente à la contemplation.
(85) Fidel Castro. Discours pour la remise de diplômes à 455 élèves pour l'année 1967-68 à l'Université d'Oriente, Décembre 1968. « De sorte qu'à l'avenir pratiquement chaque usine, chaque zone agricole, chaque hôpital, chaque école sera une université. Et les diplômés de niveau moyen accéderont aux études supérieures. Et que deviendront alors les actuelles universités ?... Elles demeureront comme centres supérieurs d'études pour les diplômés. » 

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