THOMAS HIRSCHHORN




Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers


« Je ne fais pas un travail politique,
je travaille politiquement.»

Thomas Hirschhorn

En 2004, l'artiste Thomas Hirschhorn inaugure avec les habitants de la cité Albinet, dans le quartier du Landy, à Aubervilliers, à un jet de pierre du Stade de France, le Musée Précaire Albinet. Un musée provisoire (avril - juin 2004)  présentant successivement des oeuvres originales de huit artistes : Kasimir Malevitch, Salvador Dali, Le Corbusier, Piet Mondrian, Fernand Léger, Marcel Duchamp, Joseph Beuys et Andy Warhol. Des oeuvres prêtées par le Centre Georges Pompidou et le Fonds National d'Art Contemporain : des oeuvres au pied d'une barre HLM, dans un Algeco prolongé par des constructions de bric et de broc, dont la vocation était de « faire exister l’art au-delà des espaces qui lui sont consacrés » : L’important était d’avoir arraché des tableaux originaux d’une valeur inestimable, commente le provocateur *.

Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers


Les inaugurations des huit expositions étaient l'occasion de vernissages, de repas communs, de conférences et de débats, d'ateliers de pratique artistique pour enfants, d’écriture pour adultes, ainsi que de visites culturelles. Une bibliothèque et une buvette complétaient le musée. Ce projet a associé plus d’une quarantaine d'habitants du quartier, rémunérés pour participer à la construction et au fonctionnement du Musée, qu'il s'agisse de la construction, du démontage du “pavillon”, des expositions, du nettoyage, de l'animation, du gardiennage, etc. Guillaume Désanges a longuement interrogé Thomas Hirschhorn [1] à propos de cette “oeuvre” artistique – et politique - sans doute unique en France, et des multiples difficultés pour y parvenir, dont le financement (Agnès b. et la galériste Chantal Crousel aideront), la réticence de Beaubourg, les critiques narquoises de certains habitants, et les efforts de la “police” pour faire échouer l'arrivée de cet OVNI culturel.


Guillaume Désanges : Aujourd’hui, à la veille de démarrer concrètement la seconde phase avec les habitants du quartier, je note que dans la forme rien n’a changé par rapport au programme que tu avais rédigé il y a un an et demi. Comme si ce projet pourtant complexe et difficile n’avait pas eu à s’adapter, ni aux nécessités extérieures ni à des changements de ta part qui seraient advenus au cours de son élaboration.

Thomas Hirschhorn : Effectivement, c’est ma manière de fonctionner : écrire précisément mon projet avant de le réaliser. Pour moi, formaliser sa pensée est déjà une affirmation, que l’on doit ensuite mettre à l’épreuve par le travail. Ensuite, il n’y a rien à améliorer ni enrichir. Soit mon idée, mon affirmation tient, soit elle est mauvaise. Alors, on verra bien. Je veux bien prendre le risque qu’elle soit mauvaise, mais ce n’est pas en l’affinant, en l’enrichissant qu’elle devient meilleure. Il me semble essentiel au contraire de ne pas adapter, ne pas transformer un projet artistique en fonction des obstacles ou des problèmes. Sinon, qui tracera les limites acceptables du contournement ? Mon travail est justement de veiller à ne pas de ne pas laisser interférer les opinions, les interventions extérieures, les impossibilités, les refus, les conseils. Sinon, tu es foutu... Surtout dans ce type de projets, où l’on te dit sans cesse que c’est irréalisable, ou qu’il faudrait faire autrement, pour des questions politiques, sociales, artistiques, financières ou autres. C’est en amont de la rédaction que se fait le travail du "pourquoi" et surtout du "comment". L’idée de base de construire un musée en bas d’une cité m’est venue il y a trois ou quatre ans, après le Deleuze Monument. Les artistes choisis sont, pour la plupart, des artistes sur lesquels j’ai déjà travaillé dans d’autres projets. Le programme des activités (bibliothèque, buvette, ateliers pour enfants, ateliers d’écriture, vernissages, sorties à l’extérieur, conférences, débat, repas commun) est motivé par la volonté de montrer que les préoccupations provoquées par la présence de l’oeuvre d’art sont multiples. Tout cela est m ri déjà, au moment où je le rédige.

Dans les premières réunions de travail, tu avais affirmé ne pas vouloir réaliser à Aubervilliers un quatrième monument. Quelle est la différence essentielle pour toi entre le projet de Musée Précaire et un monument ?

Il n’est prévu depuis le départ que quatre monuments, le 4ème sera consacré à Antonio Gramsci [1] et réalisé en dehors de l’Europe. Le Musée Précaire est simplement un autre travail dans l’espace public qui utilise les expériences que j’ai pu faire avec des habitants dans les deux précédents monuments. Je cherche à travers chaque nouveau projet dans l’espace public à répondre également aux erreurs, malentendus, insuffisances du projet précédent et à mes propres insuffisances.

Le Musée précaire n’est pas qu’un prétexte à une nouvelle expérience humaine. Il y a un sens à montrer ces oeuvres originales dans un quartier comme le Landy. Quel est le lien entre l’invitation de faire un projet à Aubervilliers et le choix du Musée précaire ?

J’habite et je travaille dans ce quartier depuis plusieurs années. A partir du moment où j’avais décidé de réaliser cette nouvelle oeuvre à côté de chez moi, le projet du Musée est devenu évident. L’idée de base est de réaliser un projet avec des voisins, les impliquer dans ce qui est important pour moi : c’est-à-dire l’art, et particulièrement dans ce que je trouve beau dans l’art, c’est-à-dire cette extraordinaire volonté et ce pouvoir de changer le monde et la vision du monde. C’est une double affirmation : une affirmation par rapport à l’art, mais aussi une affirmation par rapport au lieu de travail et de vie que j’ai choisi.




Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers

Avant même la rédaction du projet, lors des premiers rendez-vous, tu demandais aux acteurs locaux ce qui selon eux manquait au quartier. Certains artistes travaillent dans l’espace public en collaboration avec des politiques, des architectes ou des urbanistes dans une démarche d’offre services, répondant à des manques identifiés. Pourtant, je n’ai pas l’impression que tu travailles dans ce sens.

Poser la question du manque était moins par réel intérêt pour ce qu’il manque que pour laisser la possibilité de la surprise : que quelqu’un réponde : "il manque de l’art, de la poésie, de la philosophie", voire "il manque un musée". Pourquoi pas ? Les réponses ne m’ont pas déçue, mais elles ont montré que ces gens ont d’autres besoins. Mais il y avait déjà toujours une réponse sur ce qu’il manque, c’est déjà pas mal. Il y a certainement des endroits où des gens n’auraient même pas pu exprimer un manque.

Quand tu présentes le projet de Musée Précaire, il y a toujours une certaine incrédulité de la part des interlocuteurs. Ne serait-ce qu’à cause des questions immédiates concernant les oeuvres : les risques de vol, les assurances, les prêteurs, etc. As-tu eu toi-même une certaine incrédulité au commencement ?

Non. Si un projet comme celui-là peut se faire, c’est parce qu’il est fait par instinct. Un instinct d’artiste, qui n’est pas celui d’un chef d’entreprise ou d’un politicien. Je me souviens parfaitement et précisément de ces réunions "de crise" que nous avons eues dans les moments difficiles, lorsque le projet semblait être en danger, mais moi j’y croyais toujours. Pourquoi ? Je dirai que ce n’est pas une question de croyance mais de logique. L’idée du Musée Précaire est simple, compréhensible, et pour moi artistiquement juste et fondée : il n’y a donc pas de vraies raisons qu’elle ne se réalise pas. C’est la simplicité du projet et la clarté de la demande qui rend la chose possible. Il y a eu des obstacles c’est évident, mais je déteste les projets qui ne peuvent pas se réaliser, et je ne provoque pas cela.

La question d’avoir des oeuvres originales était la base du projet mais aussi de ses difficultés.

D’emblée, la beauté évident du projet est de présenter des originaux. Pas par amour du risque ou de l’exploit, mais pour montrer que l’art n’est pas seulement patrimoine, qu’il peut agir encore activement aujourd’hui. A partir du moment où l’on est d’accord sur ce principe, que personne n’a jamais vraiment rediscuté, la question est simplement de savoir comment cela est possible. Bien entendu, si nous n’avions pas trouvé un prêteur pour les oeuvres, on n’aurait pas pu le réaliser. D ’ailleurs c’est pour cela que le projet a eu un contretemps et qu’on a du le repousser de 6 mois. Mais en même temps ce contretemps m’a encouragé, car il m’a montré comment les habitants du quartier avaient compris l’importance d’avoir des originaux en préférant attendre plutôt que de faire un autre projet, comme je m’y étais engagé.

Donc, tu n’es étonné de là où nous en sommes aujourd’hui ?

Non. Parce qu’on ne nous a jamais opposé formellement un refus. Par contre, on sentait bien que chacun pensait que ça ne serait pas à lui de dire non mais à un quelqu’un d’autre, ou bien que nous-même abandonnerions devant les difficultés. Mais parce que personne ne voulait prendre la responsabilité du refus, nous avons fait avancer le projet jusqu’à mettre les interlocuteurs devant le fait accompli, quand il n’y avait même plus à dire oui devant l’évidence qui s’imposait. C’est un procédé, que je n’ai pas adopté consciemment, mais qui est assez efficace : une stratégie de l’évitement du non, qui amène à ne pas souhaiter un oui clair dès le début.


L’avancée du travail dans le quartier en parallèle de la mise en oeuvre du projet a été essentielle.

Oui, c’est d’ailleurs pourquoi je n’évalue pas si haut le risque que tu évoques. Je pense que nous avons fait un travail de fonds ces mois derniers. Aujourd’hui, je parle aux habitants et eux me parlent comme s’ils adhéraient déjà au projet. Ils le comprennent donc déjà un peu je pense. Ils attendent les oeuvres et ils ne veulent pas qu’on les vole, tout simplement. Par ailleurs, je reste tout à fait conscient que le risque demeure et que cela fera partie du projet, de l’expérience. Et ce n’est que l’art qui peut permettre cela. Ce projet est une nouvelle manière de clarifier ma position en tant qu’artiste qui était de n’exclure personne en disant, par exemple, "c’est trop risqué chez toi". Non, j’ai dit "c’est aussi pour vous, ici". Si jamais cela ne devrait pas se passer comme je le souhaite, je ne serai pas anéanti, il faudra que j’en porte les conséquences. Je ferai face en tant qu’artiste.

Le risque fait partie de ton oeuvre à toi.

Je voudrais être clair : moi, je ne pense pas qu’une oeuvre d’art vaut une vie humaine. Je ne crois pas que quand une oeuvre de Mondrian est détruite, le patrimoine de l’humanité est atteint. La vraie gravité est dans les morts violentes par injustice tous les jours, pas dans la destruction ou le vol d’une oeuvre d’art, qu’elle quelle soit. C’est peut-être parce que je suis un artiste que je pense comme cela. Parce que je sais que quand Mondrian peignait, il ne pensait pas au patrimoine de l’humanité, à la valeur inestimable de ses toiles. Il pensait à son travail. Au fait qu’il voulait changer le monde avec ses toiles. Je ne veux pas mettre mon travail sur la même échelle, mais je veux le placer sur le même niveau d’intention : moi-même je prends tous les jours un risque comme Mondrian ou Duchamp l’ont pris. C’est ce risque là qui m’intéresse : celui de l’art. Aujourd’hui, les historiens et les critiques l’oublient, les financiers l’occultent avec leurs prix d’assurance. Il ne faut pas se laisser intimider par cela.

La phase qui arrive va être certainement être la plus intense et la plus difficile. Tu affirmes toujours que les projets artistiques dans l’espace public ne sont ni un succès ni un échec, mais concernant le Musée Précaire, y a-t-il des choses que tu redoutes particulièrement ?

Je redoute effectivement, comme dans tout projet dans l’espace public, les moments de malentendu profond avec les habitants. Par exemple, dès maintenant, quand certains jeunes avec lesquels on travaille pensent : "c’est juste un moyen de gagner de l’argent". Or, c’est un projet qui entend évidemment aller au-delà du simple profit à court terme. Mais en même temps, je suis le premier gardien de mon idée, c’est à moi d’insister et d’expliquer pourquoi il ne faut pas se méprendre sur cet aspect financier. Je redoute le malentendu qui viendrait du fait qu’on fait ce projet avec les habitants et par eux mais pas seulement pour eux.

Il me semblait pourtant que tu acceptais que certains travaillent juste pour l’argent.

Je sais qu’à partir du moment où je travaille avec des gens en les rémunérant, il y a ce malentendu qui naît directement d’une confrontation à la réalité de la force de l’argent, à la réalité du quartier. Et c’est ce qui m’intéresse. C’est quelque chose qui reste non résolu, et dont je n’ai pas trouvé la solution. Une solution simple serait bien sûr de ne rien faire : mais cela je ne l’envisage pas. Donc je vais mettre tout en oeuvre évacuer et combattre ce malentendu : par le travail, le dialogue, le temps passé ensemble...

Tu redoutes un malentendu vis-à-vis des gens du quartier, mais pas vis-à-vis du milieu de l’art.

Le milieu de l’art est souvent dans une sorte de malentendu par rapport à mon travail, mais que j’accepte et qui ne me pose pas de problèmes. A l’inverse, le malentendu qui peut exister dans le quartier n’est pas artistique, léger, c’est un malentendu profond. Je dois y répondre par mon travail, expliquer ce que je veux exprimer en tant qu’artiste et pourquoi je fais cela.

C’est tout le problème d’un tel projet qui touche à des aspects sociaux, mais qui reste un projet artistique. Il faut sans cesse revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à l’art. Car au bout d’un moment, cela semble fonctionner très bien, mais dans un sens qui n’est plus le bon.

Oui, par exemple, il y a une présence forte des travailleurs sociaux du quartier sur le projet. Leur soutien, que nous avons sollicité, est indispensable. Mais ce qui m’inquiète un peu c’est que les travailleurs sociaux s’impliquent d’emblée trop en tant que travailleur social. Or, moi, ce que je dois faire passer, c’est que c’est un projet artistique, et donc que ça suit les règles de l’art et pas leurs règles à eux.

Le risque est alors de créer des attentes particulières. Comme par exemple avec la formation des jeunes aux métiers de l’art, qui s’est montée pour le projet mais qui n ’assure pas un débouché professionnel pour tous.

Comme tu le sais, je n’ai jamais été extrêmement favorable à cette question de la formation. Je l’ai accepté parce que nos partenaires le demandaient et que c’était relativement positif pour les jeunes. Mais je ne m’y suis pas impliqué, parce que je savais que c’était loin de la réalité de mon projet et de celle du quartier. Pour faire fonctionner le Musée Précaire dans un cadre comme celui du quartier, la formation à la surveillance ou à l’histoire de l’art n’est pas nécessaire.

Pour changer de sujet, je voulais évoquer quelque chose que j ’observe en général dans ton travail et également dans tes projets dans l’espace public : un certain humour, lié au dérisoire, à l’absurdité apparente d’un combat que tu entends mener seul mais avec acharnement. N’y-a-t-il pas un tel humour à l’oeuvre dans le projet de Musée précaire ?

Je ne pense pas que l’humour fasse partie de mes outils de travail. Je comprend qu’on puisse développer ce point de vue, qui semble lié quelque part à l’impossibilité de faire ou de croire en quelque chose, mais personnellement, je n’ai pas peur de croire à l’impossible. Ma tâche en tant qu’artiste est de réaliser l’impossible, ou au moins de donner forme à des choses que d’autres penseront impossibles. Il y a ici quelque chose de combatif et d’affirmatif plus qu’humoristique. Par ailleurs, il est clair que ces projets ne se passent pas sans humour ni une certaine joie dans la réalisation, sinon c’est impossible. Mais ça n’est pas une base de mon travail. D’ailleurs, tout le discours un peu à la mode et déjà "has-been" sur l’idiotie ne m’a jamais concerné. Peut-être en essayant d’être fort et d’affirmer des choses que d’autres ont peur d’exprimer, on suscite des réactions de rire, mais ça, c’est le problème du rieur.

Lorsque tu établis un autel précaire pour Gilles Deleuze à l’image de celui de Lady Di avec des bougies, des peluches et des petit écriteaux du style "Gilles, on t’aime", "Gilles, tu nous manques", n’il y a-t-il pas un changement d’échelle qui tend vers l’humoristique ?

Il ne fait pas confondre humour et amour : il n’y a que de l’amour ici ! Quand j’observe des peluches pour Lady Di avec une petite clochette (qui disent "we love you", "we never forget you"), j’y vois une forme explosive de manifestation d’un amour que je ne jugerai moralement pas différemment parce que c’est Lady Di ou que c’est réalisé avec des objets vulgaires. Je le prends telle quelle comme une forme donnée et je lui redonne vie dans le Deleuze Monument. Il y a des gens à qui cela paraît tellement dingue qu’ils ne peuvent pas le penser autrement que par l’humour. Moi je n’ai rien contre l’humour mais je trouve qu’il y une autre possibilité de répondre, qui n’est pas par le sérieux mais par l’amour. Ce que le Musée Précaire propose c’est la beauté d’une oeuvre d’art magnifique dans une réalité inattendue pour cette oeuvre. Et qui suscite une rencontre, un élan, une énergie. Concernant la question du changement d’échelle, pour moi, le Musée précaire n’est pas une miniature ou une caricature. C’est un musée à l’échelle de un à un. Une personne face à une oeuvre. Je pense que cela suffit largement concernant des chefs-d’ "uvre. J’ai imaginé il y a quelques années un projet qui malheureusement n’a pas pu se faire : la construction d’un tunnel ouvert à tous qui partait de la rue pour mener dans un musée face à une seule oeuvre. C’est peut-être cela le vrai sens d’un musée. Car ce que je déteste, c’est la déambulation, c’est une attitude de non engagement. Avec le Musée Précaire, je propose au spectateur de ne pas accepter cette culture de la déambulation devant des milliers d’oeuvres.

Je pense à certains de tes anciens travaux comme "Les monstres" (une sculpture dans la rue qui est jetée par des éboueurs), ou " les souvenirs du 20e siècle" (une vente à bas prix d’objets sur un marché). Le Musée précaire fait-il aussi partie de cette approche de l’art, une idée de dispersion qui s’oppose à l’idée de conservation et de collection ?

Je ne pense pas en termes de dispersion mais plutôt en termes de force d’action d’un agent ou d’un virus opérant dans un autre univers. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la perdition mais la lutte de corps à corps. De un à un. C’est une mission que l’art doit remplir. J’ai l’impression que les toiles accrochées dans les musées ne remplissent plus cette mission, elles ne doivent plus lutter pour exister parce que les conservateurs ont trahi cet idéal. Avec le Musée Précaire, j’aimerai réactiver cette mission de conquête de l’espace, de confrontation volontariste. Ne pas rester dans la passivité du patrimoine. Je veux que les ready-made de Duchamp, par exemple, reconquièrent les esprits ou se reconfrontent aux gens d’aujourd’hui avec évidemment les années qui ont passé. C’est une réactivation, pas une dispersion.

Cela va à l’encontre d’une certaine idée de la "mission" des conservateurs telle qu’elle est revendiquée par l’institution.

Oui évidemment. Mais pour moi, il n’y a pas de subversion là-dedans. Je pense à la mission de l’oeuvre, à sa beauté. S’il y a une force de résistance à l’intérieur de cet acte qui interroge le musée et qui fait que l’institution s’intéresse au projet, tant mieux, cela signifie que cette affirmation est juste. Mais je ne suis pas intéressé par des questions inhérentes au Musée, je ne travaille pas pour le musée.

Ni contre.

Oui, ni contre. Je ne m’intéresse pas au frisson procuré par la pseudo-subversion du projet, qui est une subversion bourgeoise. Moi, je suis pour les oeuvres.

J’ai tout de même l’impression que la confrontation est pour toi une méthode de travail. Eventuellement, tu vas créer les conditions d’un affrontement solitaire "contre" des structures. A cet égard, tu emploies souvent à propos de ton travail une sémantique de guerre, de mission, de combat.

Oui, c’est une vraie problématique pour moi, qui porte les germes d’un automatisme dont je mesure aussi les facilités. C’est de l’ordre de la stimulation. Mais par ailleurs, je dois aussi me battre contre des esprits méconnaissent la réalité. Par exemple, je sais que pour réaliser un projet comme celui-ci, oeuvrer à l’économie est une grave erreur. Un exemple : je sais par expérience que les habitants du quartier, qui ne sont pas charpentiers ni ouvriers professionnels, aiment les visseuses électriques. Alors, tous les jours, c’est la bataille pour la visseuse et personne ne veut être celui qui cloue. Dans la cité, c’est clair : le mec qui a un marteau à la main a l’air d’un plouc. Je le comprends très bien et je trouve cela drôle. Donc il ne faut pas acheter des marteaux mais des visseuses. Or, l’économie prescrit de faire autrement et on m’apporte des marteaux. Alors, tu comprends : moi, je dois faire la guerre et on m’amène des tous petits outils ! Alors, pour moi c’est une bombe et je réagis avec une bombe. Je fais la guerre contre cet esprit d’économie qui met en danger le projet.

Est-ce que la création d’un certain chaos n’est pas aussi une façon de travailler, voire une forme de ton travail ?

L’énergie créée par la confrontation est une méthode, car ce type de projets est d’emblée difficile et il faut tenir bon dès le début. C’est grâce à une certaine combativité, à un certain esprit batailleur, qu’on peut avoir la chance d’y arriver. Personne ne m’a accueilli jusqu’à maintenant en me disant : "viens quand tu veux, tout est en ordre, tout est prêt". J’ai toujours du me battre pour mes projets et je ne me plains pas. Tout le monde doit se battre pour ses idées et ses projets.

En choisissant de présenter au Musée précaire des artistes représentant un certain échec des projets et programmes utopistes de l’avant-garde (comme Léger, Mondrian Malevitch), n’est-ce pas de ta part une façon, non pas de résoudre, mais de reprendre cette question là où elle en était ?

J’ai choisi tous ces artistes précisément pour la force de leur travail, leur volonté. En ce sens, ce sont des artistes -prétextes ou "manifestes". Par rapport à cette idée d’utopie non atteinte, ce que tu dis n’est pas faux : c’est le cas de Beuys par exemple. Mais justement l’art peut assumer cela parce que l’art n’est pas là pour fonctionner, ni pour avoir du succès. Et c’est à partir de ces oeuvres que l’on va pouvoir rediscuter tout cela. J’aime les travaux tardifs de Malevitch, parce que contrairement ce que certains lui reprochent, il n’a jamais renoncé :il reste un artiste grandiose, même lorsque sous Staline il se remet à repeindre des figures. J’y perçois la grandeur de sa tâche : être un artiste et en même temps un être humain qui se bat avec les circonstances du moment, avec les questions formelles, les techniques ; les critiques. Résultat : il reste quelque chose d’immense malgré le pragmatisme. C’est pour cela que j’ai choisi ces artistes, car ils peuvent témoigner de cette tâche via leur travail.

Dans le choix de ces huit artistes, n’y aurait-il pas huit façons de lire la manière dont tu te confrontes à l’art dans ta propre pratique ? Duchamp : humour et distance. Warhol : utilisation et connaissance du marché. Malevitch : désir de pureté, foi, et insuffisance, Mondrian : simplification du monde pour la beauté, Dali : mégalomanie et folie, Beuys : conscience politique et responsabilité, Le Corbusier : création d’un discours programmatique, Léger : réconciliation des contraires, art populaire.

Il serait totalement mégalomane de prétendre cela. Je trouve que les qualificatifs que tu donnes à ces artistes sont justes mais si je m’y retrouve, c’est uniquement dans l’amour que je leur porte. La seule chose que je peux dire de ces artistes, c’est que j’aime leur travail et que je les aime.


Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers

APRES

Guillaume Désanges : Comme cela était prévu, le Musée précaire Albinet a été démonté avec l’aide des habitants du quartier après douze semaines d’activités (y compris la construction). D’abord, y a-t-il une image ou une impression générale qui te reste de ce projet particulièrement complexe ?

Thomas Hirschhorn : La principale image qui me reste est celle de tous les habitants du quartier que j’ai rencontré à travers cette expérience. Quand je les croise, ils me reparlent du musée précaire et me demandent : quand est-ce qu’on refait un projet ensemble ?

La durée est essentielle pour ce type de projets. Dans le premier entretien, tu exprimais la crainte d’un malentendu avec les habitants. Est-ce que la dissipation du malentendu et la compréhension du projet peuvent se faire sans cette expérience étendue dans le temps ?

Les malentendus sont naturels dans un projet artistique, mais il ne fallait pas qu’il y en ait avec la cité. Ainsi, je savais que la question du temps passé ensemble était primordiale parce qu’elle est le signe d’un véritable engagement. La présence quotidienne impose du temps passé ensemble, parfois conflictuel, mais aussi de dialogue. Dans ce type de projets, chaque jour est unique et le temps file très vite, c’est pourquoi l’urgence et la nécessité d’être présent sur place se renforcent au fil de l’expérience. Ce que je ne savais pas, c’était si j’allais pouvoir tenir pendant les douze semaines.

Certains habitants du quartier qui travaillaient sur place étaient assez vite à même d’expliquer parfaitement le projet artistique dans ses objectifs et même parfois de le défendre face à des remarques de visiteurs extérieurs. Ils se l’étaient approprié.

Les habitants comprenaient parfaitement notre projet simplement en nous observant tous les jours, même s’ils avaient parfois une distance critique. C’est une confirmation que les gens du quartier, peut-être non instruits par rapport aux règles de l’art contemporain, jugent avec leur coeur, en direct avec ce qui leur arrive et ce qu’ils voient tous les jours.

Dès le début, pendant le chantier de construction, tu n’as pas voulu sélectionner une équipe en adéquation avec le travail à a faire, tu as voulu travailler avec tous ceux qui étaient présents.

Monter une équipe spécifique avec des gens que je ne connais pas n’a aucun sens. Ce qui avait du sens, c’était de travailler avec des gens qui habitent là. Ceci posé, ce n’est pas à moi de demander des preuves de cette appartenance au quartier. Alors effectivement il y avait beaucoup trop de monde à gérer et dès le premier jour une sorte de démesure s’est installée. Elle ne m’a pas dérangée car elle est drôle et fait partie du succès du projet. Je ne dois pas résoudre ce genre de problèmes parce que je ne suis pas un patron qui recrute mais un artiste avec un projet avec des habitants. Par ailleurs, ce sureffectif a permis de mesurer le nombre d’habitants qui n’ont pas de travail et ont besoin de gagner 8 euros de l’heure. C’est déjà un lien avec la réalité.

Le projet a débuté dans une ambiance plutôt euphorique, puis très vite plus tendue, et finalement le projet a trouvé une sorte de rythme naturel qui alternait les moments de grâce et les moments plus difficiles. Avais-tu anticipé une telle temporalité ?

Effectivement, à mon grand étonnement, la phase de construction s’est déroulée dans un grand enthousiasme collectif. Rien de tout ce qu’on nous avait prédit n’arrivait : que le musée ne tiendrait pas une heure, puis pas une nuit, puis pas une semaine, etc. La deuxième très bonne surprise est que le premier vernissage a été un événement massif qui a beaucoup mobilisé la cité. J’étais fier de cela. Ensuite, la première semaine d’exposition, celle de Marcel Duchamp, a été la plus difficile à tenir : il fallait mobiliser chaque jour les habitants pour des activités nouvelles dont on ne savait pas exactement comment elles allaient se dérouler. Et puis il y avait ces problèmes qui rappelaient que le quartier était difficile : notre angoisse n’était pas le vol des oeuvres, mais le vol de voitures ou de téléphones portables. Il a fallu gérer ces problèmes, avec par exemple la décision de l’ouverture d’un parking pendant les vernissages.


Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers

Le musée était ouvert sept jours sur sept de 10h à 21h, avec chaque jour des événements et des activités différents. Il était donc très difficile d’appréhender l’ensemble du projet en une seule visite. Par exemple, un visiteur, voyant un jour les jeunes dormir dans la bibliothèque, a dit : "la bibliothèque, ça ne marche pas". Mais ce dont il ne se rendait pas compte, c’est que les jeunes étaient là tous les jours. Cela pose la question le statut étrange de cette "oeuvre à vivre au quotidien et toujours partiellement invisible pour des visiteurs de passage.

Le problème que tu poses est celui des gens qui pensent qu’il faut que "ça fonctionne". Ce n’est pas mon problème. Au Centre Pompidou aussi il y a des gens qui dorment dans la bibliothèque, peut-être parce que c’est le meilleur endroit pour dormir. Contrairement à toi, je pense qu’en venant une seule fois mais avec un esprit ouvert et éveillé, prêt à bien regarder - qui est d’ailleurs nécessaire à toute rencontre avec l’art - on pouvait comprendre tout le projet.

Malgré ce rythme très soutenu, il y avait une telle énergie dans le quartier qu’on sentait qu’on aurait pu aller encore plus loin.

On a toujours l’impression qu’on peut faire plus ou mieux. C’est sain et beau et cela va dans un sens que j’aime : le surmenage. Il est vrai par ailleurs que pour certains habitants du quartier, et surtout les jeunes, il ne se passe souvent pas grand-chose dans la journée, sauf les descentes de police, les altercations, et quelques accélérations d’adrénaline par rapport à des événements uniquement exceptionnels pour nous. Donc notre intervention quotidienne ne posait pas de problème de suractivité. Mon grand regret reste tout de même de n’avoir pas réussi à intéresser plus de gens pour les conférences, les débats, les ateliers d’écriture.

Tu conclus ton texte de présentation sur le Musée Précaire par "Art is out of control" ("l’art est hors de contrôle"). Je trouve cette expression très importante pour comprendre un projet artistique comme le "Musée Précaire Albinet" : il est en effet totalement incontrôlable.

Il est normal que l’art reste en dehors du contrôle et même empêche qu’il y ait contrôle. Au Musée précaire, il y avait tous les jours quelqu’un ou quelque chose qui mettait en question le projet, qui le plaçait en dehors du contrôle. Il fallait alors s’encourager, se renforcer soi-même pour continuer à tenir quotidiennement cette affirmation qu’était le projet. "Out of control" signifie aussi que l’idée est de donner le contrôle aux autres : à la cité, aux habitants. C’est eux qui décident aussi si le projet peut continuer ou pas. Je trouve magnifique que moi en tant qu’artiste et vous en tant que producteurs étions finalement hors du contrôle.

Dès que le projet a démarré, toutes les questions administratives et logistiques qui avaient été anticipées (la sécurité, les assurances, la température, les constats d’oeuvres etc. ) se sont immédiatement retrouvées subalternes et on s’est mis à gérer uniquement des questions plus fortes et essentielles qui sont apparues : des problèmes humains.

Je suis absolument d’accord. Avec le prêt des oeuvres originales par le Centre Pompidou - auquel personne ne croyait vraiment d’ailleurs- on est allé aux limites de l’institution, mais surtout aux limites de leur engagement humain. Sur place, il était évident qu’il y avait des choses bien plus importantes à régler que ce qui est écrit dans un contrat de prêt. C’est d’ailleurs une magnifique preuve de la force de l’art qu’il puisse aujourd’hui encore être à la pointe de la confrontation. Qu’il affirme lui-même que toutes ces questions techniques de lumière, d’hygrométrie, de lux ou de documents administratifs ne sont pas importantes ; mais ce qui est important, c’est la question du respect, de l’amour, de l’acceptation d’un projet malgré les problèmes qu’il génère, malgré les mauvaises humeurs, les jalousies, les malentendus, les rancoeurs, les ressentiments.

Pour accepter un tel projet, il faut savoir abandonner ses réflexes et certaines idées parce qu’au quotidien, le fonctionnement n’était pas raisonnable (en termes d’efficacité, ou de justice, par exemple). Un des stagiaires sur le projet a dit qu’ayant compris cela, il avait décidé d’agir aussi déraisonnablement, de répondre à l’excès par l’excès.

C’est vrai que le projet ne se faisait pas dans l’injustice, mais pas dans la justice non plus. Pour contrer l’injustice il faut autre chose de plus fort encore que la justice : l’amour, l’excès, quelque chose de dingue.



Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers

La complexité d’un projet comme le Musée précaire Albinet empêche d’en avoir une vision d’ensemble. Beaucoup de choses ou d’événements échappent, des appropriations, des histoires vécues dont on a aucune idée ou conscience : une multitude d’échos perdus et d’histoires parallèles qui nous reviennent parfois par bribes.

Il est important qu’une oeuvre d’art ne propose pas qu’une vision mais un faisceau de visions. C’est l’ouverture, l’activation de l’esprit et de la pensée qu’elle suscite. J’ai ma vision d’artiste mais il y a de multiples autres visions possibles selon les points de vue et les degrés d’implication. En général, dans les musées, on se contente de compter le nombre des entrées, pas de recueillir les échos perdus comme tu dis, pourtant c’est ce qui est beau dans la confrontation avec l’art : chacun pourra te dire quelque chose de différent, de ce qui l’a touché et ce qui va lui rester . Avec le Musée Précaire Albinet, je dirais que les échos sont même moins perdus qu’ailleurs, parce que j’habite là et que j’ai travaillé avec mes voisins. Il y moins de perdition.

Le Musée Précaire a intégré des événements pas directement liées au projet. Cela fait aussi partie de sa réussite : à partir du moment où il a aspiré d’autres activités du quartier, cela signifiait son acceptation. La bibliothèque, par exemple, a très vite été investie par les jeunes pour des activités plus ou moins licites.

Dès le départ, le musée s’appuyait déjà sur d’autres structures du quartier : la maison de jeunes, la bibliothèque, la maison de quartier. Alors, il était clair que les activités extérieures s’intégraient parfaitement et prenaient même parfois leur essor grâce au Musée précaire. C’est pour moi le rôle de l’art et de l’artiste dans l’espace public et dans la vie. Les jeunes se sont naturellement retrouvés dans la bibliothèque qui était le lieu le plus ouvert et le plus libre, puisqu’il n’y avait pas d’oeuvres ni d’activités proposées. La difficulté et la beauté du projet, c’est que j’étais très content que les jeunes, et même les plus durs, se retrouvent finalement dans la bibliothèque, parce que c’était aussi "leur" maison mais dans le même temps, ce n’était pas seulement leur maison. Il a fallu s’assurer, par la négociation et l’explication, de ce qu’elle reste un lieu ouvert à tous. Je crois que ces efforts ont été compris et acceptés et il y a eu une sorte d’autocontrôle du lieu. La bibliothèque, à part les rares fois où on a vu des gens lire ou regarder une cassette, était plutôt un lieu de rencontre pour se retrouver, un refuge peut-être, de petites magouilles ou embrouilles. Cela était possible parce que notre bibliothèque ne fonctionnait pas avec cette sorte d’autorité qu’ont les structures existantes. Mais en même temps, que ces magouilles se déroulent entourée des livres de huit artistes n’est pas si mauvais signe.

Une étape importante a été franchie quand certaines personnes du quartier mais extérieures au projet, et franchement négatives depuis le début, se sont mises le fréquenter tout de même parce que c’était devenu un pôle.

Ce résultat est une confirmation qu’il ne fallait pas constituer des sous-équipes ou des sous-groupes dans les équipes de travail. Je suis fier de cette stratégie et de son application quotidienne : ne jamais exclure personne, même les plus marginaux, même les plus négatifs. De la même façon que dans le quartier, les gens sont obligés de composer avec tous, quand tu travailles avec eux, tu dois considérer le quartier comme une entité et ne pas décider qui en fait partie ou pas. D’avoir compris cela est primordial. Celui qui tourne tout le temps autour et qui est négatif presque jusqu’à la fin, fait partie du projet que tu le veuilles ou non et c’est à toi de l’intégrer et de ne pas l’exclure. C’est la grande expérience artistique à faire comprendre à tous ceux qui considèrent le Musée précaire comme un projet démagogique ou social : il n’y a pas à faire de cloisons entre les bons les moins bons, les mauvais et les moins mauvais, pas par idéologie mais simplement parce ce n’est pas possible.


Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers

Pourquoi lies-tu cela à l’art ?

A part l’art et la philosophie, aucune structure sociale, politique, économique ne permet cela. C’est pour cela que les critiques d’art qui pensent que le Musée précaire est un projet social n’ont rien compris, pas seulement au projet, mais même à l’art. Ils n’ont pas compris la dimension que peut apporter l’art par rapport aux autres forces actives de la société : affirmer que qui que tu sois et à n’importe quel titre, connaissance, frère, cousin, je t’inclue, je suis d’accord avec toi. C’est cette chose belle et nouvelle, qui amène une transformation : aller à l’encontre de notre système basé sur l’exclusion ou la limitation. Ne pas délimiter mais intégrer.

La rythme quotidien du musée faisait passer très vite des moments de grâce à des moments difficiles de violence ou de tension. Les visiteurs de passage qui étaient enchantés et s’émerveillaient de voir ces jeunes de la cité qui travaillaient dans un musée, étaient également un peu dans l’erreur, décalés de la réalité.

L’expérience de l’art n’est pas une expérience paisible ou apaisante. Le Musée précaire n’a jamais voulu résoudre des problèmes, il n’a pas voulu les exclure. C’est pourquoi quelquefois de la violence, des insultes ou des vols. Bien s r, je ne suis pas naïf par rapport à l’endroit où je faisais le projet, mais pas plus d’ailleurs que je suis naïf quand je vais visiter des expositions dans des fondations ou dans des musées. Je sais toujours où je suis. L’important est que fondamentalement, j’étais d’accord avec les gens du quartier, ce qui ne veut pas dire que j’approuvais chacun de leur geste ou chaque événement. Mais sans cet accord, tu ne peux pas faire le projet. C’est cela le problème de certains personnes : elles ne sont pas d’accord, et donc n’arrivent à rien changer.

Mais cela ne signifie pas être solidaire des violences ou de certains fonctionnement du quartier. Si je comprends bien, cet accord dont tu parles signifie que quand un visiteur se fait casser sa voiture, ça n’est pas bien ni même normal, mais ce n’est pas cela non plus qui remet en cause le projet, ce qui démontre sa faiblesse. Ce ne sont pas les limites du projet, c’est toujours le projet d’une certaine manière.

Absolument. Je ne suis pas d’accord en donnant la main à l’autre. Etre d’accord c’est être capable de comprendre qu’il y a des choses qui te dépassent et choisir d’être là où les choses te dépassent. Mais en restant informé, lucide et éveillé. Je ne suis pas d’accord avec le fait qu’on vole, mais je suis d’accord avec le fait de faire un projet dans un quartier où il y a des voleurs. Et parce que je suis dans un tel quartier, j’essaie de faire en sorte que les vols n’arrivent pas. Et si cela arrive, je ne ferais pas appel à d’autre force que la mienne pour les résoudre. Je me suis engagé plusieurs fois physiquement pour que des objets volés reviennent. Dans ce cas là, je ne fais rien d’autre que ce qu’un artiste doit faire avec son oeuvre : se mettre en condition de parler de un à un avec l’autre. Par ailleurs, je dois dire aussi que ne suis pas plus d’accord avec ce qui se passe parfois dans l’art contemporain, dans les expositions, les vernissages, les fondations.

Ce qui est frappant, c’est qu’aucune violence n’a jamais été dirigée directement contre les "oeuvres.

Cela montre que toutes les préoccupations, tous les scénarios catastrophes esquissés en amont sur ce qui pourrait arriver aux "oeuvres d’art n’étaient rien par rapport à ce qui peut arriver aux êtres humains. Je dois dire qu’on m’a quand même plusieurs fois menacé de br ler le musée, de voler les tableaux, mais, je crois, plutôt comme le signe d’une sorte d’exécutoire. Le fait de le dire était plus important que de le faire. C’est une preuve qu’il y avait à la fois du respect et un problème essentiel qui persiste, que je soulève sans le résoudre : cette tension qui naît d’une confrontation à l’inconnu, du rapport à l’art. Mais j’ai toujours décidé de prendre au sérieux ces menaces démesurées et délirantes de destruction, et j’ai essayé de défendre le projet par le dialogue. La question n’est pas de savoir si j’ai ainsi évité le pire mais il était important de remplir mon rôle d’artiste en allant vers l’autre, en tentant de le convaincre, en n’oubliant jamais le sens de ma mission et pourquoi je faisais ce projet.

On n’a jamais tenté de cacher la valeur financière des "oeuvres. Et cela n’a jamais posé de problèmes aux habitants, qui avaient un rapport à la valeur des "oeuvres presque plus sain que certains acteurs du milieu de l’art qui étaient obsédés par le prix, par les risques, etc. S’il n’y a pas eu de violence contre les oeuvres, parce que la plupart des habitants avait compris ce qu’elles faisaient là.

Jamais quelqu’un du quartier ne m’a demandé le prix d’une "oeuvre”. Il était entendu que c’était des "oeuvres d’art” très très chères, inestimables peut-être. Donc en dehors d’une échelle de rentabilité possible. Alors, en effet, les habitants du quartier avaient face aux oeuvres le même rapport respectueux que n’importe quel citoyen face à un bien qui appartient à la communauté.


Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers

Le Musée précaire est irréductible à un projet social et parce qu’il ne fonctionne pas comme selon une idéologie culturelle - qu’on pourrait attendre - d’édification par l’art. Du coup, le fait que les activités n’étaient pas toujours très fréquentées par les habitants n’était pas un échec, car l’important était que la proposition existe et le fait qu’une conférence de spécialiste se déroule au milieu de toute cette vie de quartier laissait filtrer un échange d’énergie. Ca rayonnait, d’une certaine manière dans le quartier.

Le Musée Précaire n’est pas un projet social simplement parce qu’il ne répond pas à une demande sociale mais à une volonté d’artiste. Il est exact qu’il fallait tous les jours aller chercher les gens pour leur dire qu’il y avait un débat, une discussion, une rencontre, une conférence. Mais tout cela est normal. Les jeunes de la cité, particulièrement, étaient les plus difficiles à convaincre, parce qu’ils sont quelque part en révolte et prennent leur distance par rapport à ce que l’on veut leur apprendre. En même temps, le fait que les ateliers aient lieu avec des participants venant parfois de loin pour y assister a aussi un impact qu’un artiste qui veut absolument que son travail "fonctionne" pourra difficilement évaluer. Ce que j’ai aimé, c’est que les habitants n’ont jamais répondu "non, ça ne nous intéresse pas", mais toujours, "oui, oui nous allons venir plus tard". Et je crois que cette réponse est vraie mais qu’il faut bien la comprendre : ils ne vont pas venir un quart d’heure plus tard mais peut-être trois ans, dix ans plus tard Qui sait ? C’est pour ça qu’il faut rester plein à la fois lucide et plein d’espoir.

Pendant la construction, j’avais l’impression que l’aspect final du projet n’était pas ta priorité. Tu laissais les assistants recrutés sur place se débrouiller par eux-mêmes. Et pourtant on retrouve formellement un style très "hirschhornien" dans le Musée. Cela pose la question de l’objectivité des matériaux que tu utilises pour des pures raisons pratiques.

J’utilise ces matériaux là pour leur capacité d’adaptation, d’utilisation et de compréhension par tous : du scotch, du carton, du bois, des plexiglas. Et quand tu travailles avec ce genre de matériaux, le résultat final a cet aspect-là. Mais j’aime aussi cet aspect et évidemment, en tant qu’artiste, j’utilise des formes et je réfléchis à leur dimension politique. C’est pourquoi je ne comprends pas les artistes qui utilisent des matériaux que seul des techniciens spécialisés du musée d’art contemporain peuvent manipuler : contreplaqué pour partager les espaces, lumières tamisées, etc. Cela relève d’une grave démission : et du coup les expositions contemporaines se ressemblent toutes de plus en plus. Parce qu’elle sont toutes réalisées par les même techniciens, tandis que les artistes, eux, envoient des fax. Moi je fais que ce que je peux faire moi même et je dis aux équipes de construction faite ce que vous pouvez. Ils ne le feront pas moins bien ou mieux que moi. De toutes façons, un projet comme le Musée Précaire Albinet ne doit pas se faire avec trop de plans, il doit se faire sur le moment avec les gens et les moyens qu’on a sur place.

Pareil pour la scénographie des expositions.

L’important était d’avoir arraché des tableaux originaux d’une valeur inestimable. Alors après cela, il faut avoir le coeur bien petit pour se préoccuper de scénographie. Une toile de Mondrian, tu la mets où tu veux. Elle n’a pas besoin d’être sur un mur plus blanc que les autres pour conserver sa force. C’est tellement beau, tellement chargé, tellement dense, que ça n’a pas besoin d’être encore mis en valeur. L’intimidation par la valorisation, c’est fini. Par contre, je m’efforce de créer des liens avec une autre ville, une autre continent, une histoire, une culture avec toutes les documents que je mets à disposition, les photocopies, les extraits de texte, les catalogues.

Tu mets souvent en avant l’importance de ta présence physique pendant le projet mais aussi pendant toute sa préparation.

Comme tous les artistes, je crois, je dois être extrêmement présent pour mon projet. Et il n’y a pas de hiérarchie dans les tâches. Moi qui ne veux pas que quelqu’un ait un pouvoir sur moi ou sur mon travail, je ne peux pas déléguer ce pouvoir par ailleurs. C’est pour cela que je dois tout faire. Je le fais parce que c’est mon oeuvre mais au delà, c’est aussi une affirmation : l’affirmation d’un projet qui veut obliger les autres à s’impliquer à la même hauteur, qui requière leur présence. Trop souvent, les gens ne sont pas présents, ils ne travaillent pas ils ne sont pas là, ils ne s’occupent pas, ils ne se confrontent pas. Moi je trouve que c’est beau de se confronter, c’est dur aussi, car il faut sacrifier beaucoup de son temps. Mais c’est la seule façon qu’un projet devienne vivant, réel. Souvent, le soir, je me suis retrouvé à nettoyer le terrain. Pas parce que je suis un nettoyeur, mais parce que c’est une des rares choses que je sais très bien faire, et que cette activité est utile et belle comme toutes les autres activités. Elle a une fin. Au delà du signe que ça fait pour les autres, concrètement je dis : "tout ce qui fait partie de mon projet je peux le faire, je veux le faire." Ce n’est pas aux autres de s’exécuter pour cela. Ca rejoint cette idée de dialogue, d’installer un rapport non hiérarchique par rapport aux propositions que je fais.


Musée précaire Aubervilliers 2004 | Photo : Les laboratoires d'Aubervillers

Tu étais entouré d’une équipe pour l’organisation, mais à certains moments tu souhaitais être seul face aux équipes du quartier.

C’est mon travail d’artiste de montrer que je peux fonctionner même en minorité. Ce qui signifie ne pas s’appuyer sur une structure mais seulement sur sa propre volonté. C’est un engagement personnel. Et mes interlocuteurs peuvent comprendre cela parce que dans leur vie ils se sont aussi trouvés en minorité et ils ont compris qu’on pouvait quand même y réaliser des choses. Alors, un renversement s’esquisse : seul, tu as des arguments, une force supplémentaire, une volonté qui dépasse le fait d’être minoritaire. C’est ça que tu dois mettre en jeu, en discutant avec les gens : retrouver un rapport de un à un. De minorité à minorité. Ce n’est pas une méthode ou une stratégie, mais une politique de vie, une conviction. Par rapport à cela il n’y a rien de nouveau. C’est normal. Ce n’est pas mon rôle d’artiste, c’est mon rôle d’être humain.

Dans tes rapports avec les habitants, tu parlais souvent d’art, sans apparemment adapter ton discours en fonction de tes interlocuteurs.

En tant qu’artiste, il est très important de ne pas avoir de multiples discours, parce qu’on s’adresse à l’univers entier. On n’exclue personne. Prendre en compte l’interlocuteur implique immédiatement la question de la cible. Moi, je n’ai aucune cible, je veux toucher le monde entier. C’est pourquoi avec les conférences, les débats, les ateliers d’écriture, on s’est toujours dit qu’on ne se mettrait pas "à niveau". On ne fait pas différemment parce qu’on est en banlieue ou à Aubervilliers. Sinon, on est perdant par rapport à l’universalité de l’oeuvre d’art.

Il y eu souvent des échanges violents entre toi et des éléments intérieurs et extérieurs au projet. La colère est-elle aussi une stratégie de résistance ?

Je n’ai jamais décidé de "péter les plombs" mais je ne me suis pas non plus retenu de le faire. Particulièrement envers des forces qui voulaient détruire l’idée du projet, comme par exemple quand les policiers ou les officiels arrivent et veulent fermer le musée. Pas par stratégie, mais parce qu’il n’y a pas d’autres moyens de survivre ou de s’en sortir.

Le projet est achevé depuis presque deux mois maintenant, mais nous continuons à suivre les suites du projet dans le quartier et notamment les possibilités de formation des jeunes dans le secteur artistique. Pour toi, où s’arrête le projet artistique ? Où s’arrête ton implication ?

Le projet artistique ne s’arrête jamais. Parce que ne sais pas où l’art peut s’arrêter. Ce n’est pas à moi de le dire. Je crois que l’art a une possibilité d’impact à long terme. A très long terme. Pour les habitants du quartier qui ont travaillé avec moi et qui ont envie de prolonger sur une formation ou sur un emploi éventuel lié au projet, je ne peux pas apporter d’aide en tant que travailleur social, mais je peux apporter ma propre connaissance du terrain. En tant qu’artiste, j’ai une autre pratique qui est une autre entrée à la réalité : je connais des transporteurs, des gens de musée, des comptables. J’aide simplement avec des contacts, des recommandations, comme je le ferai pour des amis ça n’a rien de "social". Ca fait partie de ce que j’appelle l’artiste dans l’espace public et dans la vie publique, dont le Musée précaire Albinet était une des réalisations.

Tu disais dans le premier entretien que tu voulais clarifier ta position en tant qu’artiste avec le musée précaire. Dans quel sens s’est-elle clarifiée ?

Ce projet est plus radical que j’ai réalisé surtout parce qu’il s’est fait que avec des voisins, en dehors d’un événement national ou international, parce qu’il s’est fait avec les Laboratoires d’Aubervilliers dans la ville d’Aubervillliers à coté du lieu ou je vis et où je travaille. J’ai démontré la possibilité de l’implication forte d’un quartier sur un projet autonome et ambitieux et la capacité de rayonnement d’une action extrêmement locale. C’est ma contribution à la vie publique en tant qu’artiste. Il ne suffit pas de signer des pétitions, des souscriptions ou de manifester, il faut, à travers son travail, signifier sa position de citoyen par rapport à la cité et d’artiste par rapport à l’art. J’espère que ce projet a aussi prouvé que l’art a une place d’autant plus essentielle que l’oeuvre est unique et inestimable. Que, donnée uniquement à l’estime de celui qui la regarde, elle peut s’adresser à tous les publics. Que c’est possible et que c’est à faire. Que l’art comme la philosophie appartiennent à tout le monde. Il n’y a pas de limite à cela.

Guillaume Désanges
Article en ligne :


Musée précaire Aubervilliers 2004 

Travailler politiquement en s'installant dans les quartiers populaires est une activité constante pour Hirschhorn :  lors de la Documenta de Kassel, en 2002 (Monument à Georges Bataille), le Monument Gramsci, un des piliers de la pensée marxiste – dans une cité du Bronx à New York [2], ou le monument au philosophe Gilles Deleuze dans un quartier hors-les-murs d'Avignon, en 2000, qu'il évoque ainsi :


Avec ce monument, je veux aller vers l’habitant d’Avignon. Avignon est grand et dans la mesure où ce monument se trouve dans l’espace public il me semble juste de le situer dans le 'Grand-Avignon'. Le 'Grand-Avignon' veut dire en dehors des remparts qui entourent la ville. Ces remparts sont caduques depuis longtemps. Ces murs, faux aujourd’hui, sont là pour les touristes, pour vendre la vieille ville. Ils ne sont plus légitimes, mais ils deviennent un mur entre les habitants plus riches et les habitants plus pauvres, une frontière entre la ville objet et ses sujets. Je pense que les remparts posent des questions politiques et sociales. J’ai voulu situer mon intervention par rapport à leur existence. Je le fais en plaçant mon travail en dehors des remparts. Je veux faire un travail pour, avec, en confrontation, mais surtout pas sans les habitants d’Avignon. C’est pour cela que j’ai choisi de faire ce monument sur la pelouse centrale de la cité HLM 'Louis Gros'.”


Dans un entretien recueilli par Valérie de Saint-Do pour la revue Cassandre [3],  Thomas Hirschhorn expliquait toutes les difficultés, avec les institutions,  les habitants, pour la mise en oeuvre du Deleuze Monument :

Pouvez-vous revenir sur l’expérience du Deleuze Monument à Avignon : le lieu choisi, le processus, l’opposition rencontrée ?

Thomas Hirschhorn : Dans une réponse à une commande publique, le lieu choisi dit quelque chose d’essentiel sur le travail. 90 % des habitants d’Avignon habitent en dehors des remparts, au-delà de cette frontière économique, sociale et touristique. Je voulais aller là où les gens habitent, faire quelque chose, non pour l’habitant, mais avec lui. Le désir de travailler dans une cité est lié à l’universalité de ce travail qui pourrait exister dans une autre cité dans le monde, hors d’un contexte chargé d’histoire. Le projet initial devait se faire à la cité Louis-Gros , il s’est fait à la cité Champfleury parce que les gens du quartier m’ont invité.

Comment s’est passé ce travail avec les gens du quartier ?

C’est l’une de mes expériences les plus riches, mais aussi les plus contradictoires et les plus difficiles. J’ai indiqué dès le départ que je ne ferais pas le travail d’un travailleur social, ni même d’un artiste qui invite à collaborer à son travail. J’ai simplement dit que j’avais besoin d’aide et proposé aux jeunes de m’aider. Mais, dans la pratique, j’étais confronté à la question de l’animateur social - rôle que je devais assumer aussi. Et, en me rendant compte des conditions de vie dans ce quartier, j’ai forcément douté. Fallait-il faire ce projet dans un endroit où il n’y a rien - (pas même de bancs pour s’asseoir ou un filet en bon état pour jouer au foot ) ? Ma réponse était qu’il fallait le faire là plutôt que dans un endroit doté de tout.

Quelles étaient vos relations avec l’institution commanditaire, en l’occurrence les organisateurs, les commissaires de La Beauté ? Pourquoi avoir fait ce projet, atypique dans la programmation, dans le cadre de cette manifestation ?

Très vite, les rapports avec l’Institution sont devenus inexistants. La ville d’Avignon se positionnait en adversaire, et l’Institution ne m’a pas soutenu. Pourquoi ai-je tout de même accepté de m’inscrire dans La Beauté ? D’abord, pour la liberté que laisse la commande publique à l’artiste en allouant un budget à un projet ; je n’avais plus besoin de chercher de l’argent pour ce travail qui s’inscrit dans une série de quatre monuments (Spinoza Monument, Deleuze Monument, Gramsci Monument, Bataille Monument), que j’aurais faits de toute façon. Enfin, je voulais répondre au terme de « beauté », ne pas laisser ce mot aux industries de la mode et du parfum, l’interpréter autrement, le « désesthétiser ».


Que faut-il entendre par « travailler politiquement », et « ne pas faire un travail politique », alors même que vos titres ou les associations d’images que vous faites, les questions que vous posez sont politiques dans leur contenu ?

La manière dont j’essaie de résoudre des questions plastiques, le lieu, la forme, le matériau, est politique. Je n’utilise que des matériaux ordinaires, pauvres : du carton, du papier alu, du scotch, et jamais des procédés technologiques compliqués. J’accumule beaucoup, mais je n’agrandis jamais une image. Je reste au premier degré, je n’essaie jamais d’aller au deuxième et au troisième. Je déteste l’art référencé. [...]





NOTES


[*] Les détracteurs de Thomas Hirschhorn, artiste d'envergure internationale après avoir obtenu le Prix Duchamp en 2000, soulignent volontiers qu'il a officiellement représenté son pays, la Suisse, lors de la biennale de Venise en 2011, salon commercial de l'Art, du politiquement correct et de la haute finance. Ce qui, pour eux, remet en cause son engagement politique, et consacre sa stature de provocateur pseudo-humaniste petit bourgeois....

[1] Entretien publié dans : Musée Précaire Albinet dans le catalogue Thomas Hirschhorn, éditions Xavier Barral, 2004 :

Le projet de Musée Précaire Albinet a comporté quatre phases : la préparation (dix-huit mois), la construction (trois semaines), l’ouverture au public (huit semaines) et la déconstruction (une semaine). Compte tenu de cette temporalité particulière, l’idée était de réaliser un entretien en deux parties : savant et après la phase effective du Musée Précaire. Dans un premier temps aborder les questions soulevée par l’idée même du projet, les difficultés de sa mise en oeuvre et les attentes à la veille de démarrer concrètement le projet dans le quartier. Dans un deuxième temps discuter le bilan et confronter les enjeux initiaux du Musée Précaire à la réalité vécue du projet. La première partie est donc le résultat d’une discussion qui a eu lieu en avril 2004, après tout le travail préparatoire et juste avant le démarrage des trois semaines de construction avec les habitants. La deuxième partie a été réalisée en août 2004, deux mois après le démontage du musée.”





Yvane Chapuis codirectrice des Laboratoires d'Aubervilliers et commissaire du projet le commente ainsi : “le livre rend compte de toutes les étapes liées à la création d'une oeuvre aussi improbable. L'exemplarité, la ténacité, la générosité des auteurs pour faire exister le Musée Précaire Albinet sont présentées à travers les documents de ce travail collectif: les échanges écrits avec les partenaires du projet, les traces des diverses réunions de travail et des rencontres avec les habitants, les productions inhérentes au fonctionnement du Musée Précaire et les articles de presse.” 

Un ouvrage essentiel car il rassemble les photographies, plans, notes, croquis, affiches, programmes, correspondances entre l’artiste, ses collaborateurs et les partenaires du projet, en passant par les lettres de remerciements...

[2] Site internet dédié en anglais :

http://www.gramsci-monument.com/index.html








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